La semaine dernière, Bill Keller, du New York Times, traitait des croyances religieuses de plusieurs candidats républicains à l’élection présidentielle, proposant des rafales de questions qu’il aimerait poser à chacun d’entre eux.
L’article de Keller a été critiqué et ridiculisé à juste titre par bien des journalistes, y-compris ceux de « Get Religion » (NDT: organe de presse US voué principalement aux questions religieuses). Non seulement en raison des erreurs matérielles parsemant l’épître de Keller, mais aussi à cause du ton grossier et peu charitable employé pour décrire, et faire semblant de comprendre, les croyances des candidats.
L’embuscade derrière ses questions bizarrement énoncées est une attitude intellectuelle que j’appellerai « gnose séculière ». Ceci implique une position culturellement privilégiée sur des connaissances et des croyances rarement mises en doute, et donc rarement défendues. Et donc ses adeptes ne soumettent pas leur position, leurs présupposés et leurs sources de référence au genre de questionnaire qu’ils voudraient infliger aux croyances, aux présupposés, aux sources de référence des croyants en religion.
Le mot « gnostique » vient du Grec γνῶσις, signifiant « connaissance ». Au début de l’ère chrétienne les gnostiques étaient considérés comme hérétiques car, s’affranchissant de l’autorité ecclésiastique, ils prétendaient que la connaissance ésotérique ou intuitive du divin était un moyen, échappant aux vérités concrètes, d’atteindre le salut de leur âme. En d’autres termes, le monde, et les institutions qui s’y trouvent, telle l’Église, étaient considérés comme des obstacles à la montée de l’âme vers Dieu.
C’est pourquoi les gnostiques étaient, en un certain sens, et ironiquement, d’incorrigibles ignorants. Aucun brin de preuve contraire, d’argumentation philosophique, d’exégèse biblique, ne pourra convaincre quelqu’un qui détient personnellement, directement, un lien impérissable et impénétrable avec la Vérité. Comme l’explique « l’Encyclopédie catholique », « les gnostiques étaient « ceux qui savent », et leur savoir les classait dans une catégorie supérieure dont le statut présent et futur les rendait essentiellement différents de ceux qui, quelle qu’en fût la raison, n’avaient pas la connaissance.»
De nos jours, les gnostiques sont séculiers, mais tout autant déterminés à s’assurer que leurs pouvoirs intellectuels restent soigneusement protégés de toute controverse sérieuse. Ce qui explique pourquoi, lorsqu’ils s’expriment sur les sujets religieux, leurs élucubrations nous semblent résulter d’écriture automatique dictée par des zombies littéraires insouciants errant sans but sur internet pour se mêler de discussions religieuses oiseuses.
Par exemple, question de Keller posée sur un blog à la Députée Michelle Bachmann: « Vous avez cité comme importantes pour votre vie les œuvres de grands défenseurs du Dominionisme, y-compris Nancy Pearcey, dont le livre « Entière vérité » incite les chrétiens à se méfier des idées émises par des non-chrétiens. Approuvez-vous cette mise en garde? »
Primo, Pearcey n’est pas dominioniste, terme s’appliquant à un tout petit groupuscule de Protestants Réformés (plus précisément désignés comme « théonomistes ») qui prônent l’introduction des lois de l’Ancien Testament dans la jurisprudence américaine.
Secundo, le livre « Entière vérité » de Pearcey n’est pas « un bréviaire de théonomie ni une incitation à se méfier des idées de non-chrétiens », comme Keller l’affirme sottement. Comment puis-je le savoir ? Non seulement j’ai lu le livre, mais j’en ai publié une analyse voici sept ans dans « First things » (NDT: publication d’inspiration interreligieuse). Bien qu’à mon avis elle ait commis des erreurs, telle son interprétation des thèses de saint Thomas d’Aquin sur la nature et la grâce, je considère que ce livre apporte une nécessaire contradiction à ceux qui prétendent que la théologie n’a pas de contenu cognitif. (Je m’éloignerai aussi de son essai sur le « design intelligent » dont j’ai publié une critique voici deux ans dans le Journal de Droit et Politique de l’Université Saint Thomas).
La suggestion de Pearcey à ses lecteurs : le chrétien devrait prendre ses croyances au sérieux, et non comme de simples questions d’inclinations à conserver à l’insu du public, ainsi que Keller pense que nous le devrions (ironiquement, cela l’incite à se méfier des idées émises par des chrétiens, comme on l’attendrait d’un gnostique séculier).
Comment un éditorialiste du New York Times a-t-il pu commettre de telles erreurs si simples ? Il n’a effectué aucune recherche. Il n’a pas lu l’auteur qu’il cite. C’est pourquoi il n’a pas tenté de comprendre ce qui lui aurait clairement paru intellectuellement étrange s’il avait en fait pris le temps de lire le livre de Pearcey et y avait porté une sorte de curiosité intellectuelle.
Au lieu de rehausser le niveau de son enquête et mener sa recherche comme un étudiant confirmé — et Google, alors ? — il s’est fié à des sources telles que le « New Yorker » et le « Daily Beast » — dont la réputation était déjà bien faite pour des vingtaines de journalistes lorsque Keller publiait ses questionnaires. (NDT: l’auteur renvoie alors à deux articles prenant la défense de Michelle Bachmann au nom des principes de la morale américaine).
Bien qu’ayant lu des œuvres de Pearcy, le journaliste du « New Yorker » n’y avait, d’évidence, rien compris. Le journaliste du « Daily Beast » ne cite nullement Pearcey, alors que Keller indique ces deux journaux comme sources de références. Un journaliste plus consciencieux — ne se contentant pas de barbouiller avec un gros pinceau — aurait pris soin de traiter chaque question aux bonnes sources.
Il ne s’agit pas de censurer les questions posées aux candidats à propos de leur foi et de ses implications dans la politique. Je suggère plutôt une approche préparée avec le soin et avec la curiosité d’un vrai journaliste. Ces deux critères sont visiblement absents des réflexions de Keller — et de ceux, nombreux, qui partagent la foi gnostique séculière.
Francis J. Beckwith
http://www.thecatholicthing.org/columns/2011/secular-gnosticism-and-the-new-york-times.html