J’ai l’habitude d’être contesté, voire insulté, sur Facebook et Twitter. C’est le prix à payer quand on est journaliste, et si je me laissais influencer par les commentaires négatifs postés à la fin de mes éditoriaux, il y a bien longtemps que j’aurais rendu mon tablier. Les commentaires positifs sont, bien sûr, tous d’une exactitude constante et absolue ! Le mois dernier, la discussion portait non pas sur un article récent ou une émission de télévision, mais sur deux lignes tirées d’un livre que j’avais écrit en 1988 : Gilbert : Le nommé GK Chesterton.
Pourquoi ce regain d’intérêt ? J’avais, dans mon livre, défendu Chesterton que l’on accusait d’antisémitisme, en citant la bibliothèque viennoise de Londres, institut spécialisé dans l’étude de l’Holocauste et de l’antisémitisme, en expliquant que Chesterton « n’était pas un ennemi, et lorsque le pire est arrivé, il a montré de quel côté il était. »
Le choix du moment est bien sûr essentiel, et on vient d’annoncer récemment la béatification probable de l’auteur de la série dont le personnage principal est le Père Brown, de L’homme éternel, Orthodoxie, Le nommé Jeudi, de biographies de Thomas d’Aquin, Dickens, et d’une multitude de livres et d’articles.
Dès l’annonce de cette nouvelle, j’ai écrit que l’on ressortirait le vieux bobard antisémite. Si seulement j’avais plus souvent tort. Il a fallu très peu de temps pour que, par exemple, la Jewish Chronicle, hebdomadaire britannique influent et respecté publie un article intitulé : G.K. Chesterton, cet ennemi des juifs, peut-il être un saint ?
A mon avis, la réponse est dans la question. Geoffrey Alderman écrivait :
Je ne cesse d’être étonné par les détours que prendront certains pour excuser ou minimiser les déclarations clairement antisémites de certains personnages publics, présents ou passés… Chesterton fut romancier, journaliste et critique à très grand succès et s’est converti au catholicisme. Rome aime bien récompenser ses convertis, sans doute dans l’espoir d’en inciter d’autres à suivre leurs pas… Mais il y a un problème : l’aversion bien connue de Chesterton pour les Juifs et le judaïsme.
Suivent alors dans l’article les habituelles références et citations tirées de l’énorme corpus des oeuvres tendant à prouver que l’auteur non moins corpulent haïssait les Juifs.
Mr. Alderman et moi-même avons au moins deux choses en commun. Nous avons tous deux publié des articles sur Chesterton et nous sommes tous deux Juifs. Je suis devenu Catholique en 1985, mais, pour un authentique antisémite, je suis toujours Juif. Si vous en doutez, allez voir un jour les insultes dont je parle plus haut.
En tant que Juif, cependant, j’aurai toujours pour Chesterton une gratitude immense et intense, lui qui m’a guidé vers l’Église à bien des égards. Je suis convaincu que cela ne sera d’aucun réconfort pour Mr. Alderman, mais c’est ainsi. Et ayant moi-même combattu l’antisémitisme toute ma vie – quand j’étais jeune turbulent dans les rues de Londres et à l’âge adulte toujours aussi turbulent dans mes écrits – j’ai vraiment le sentiment que je possède certaines qualifications dans ce domaine.
Oui, Chesterton a effectivement fait des commentaires bêtes et méchants, en particulier suite à la mort de son frère Cecil, qui, lui, était presque certainement un authentique ennemi des juifs. Parce que Cecil avait lancé une campagne contre un groupe d’homme politiques, dont certains étaient juifs, et avait trouvé la mort prématurément en 1918, Gilbert – qui éprouvait toujours une étrange crainte à l’égard de son frère beaucoup moins doué – laissa son chagrin se transformer en colère contre les ennemis de Cecil.
Il laissa à la postérité des vers stupides sur les Juifs dans son roman L’auberge volante ; il fit preuve de trop peu de sensibilité dans ses écrits sur les Juifs dans l’Angleterre médiévale ; il se trompa et resta insignifiant lors du procès Dreyfus ; et au pire il rejoignit sur un sale terrain son frère Cecil et Hilaire Belloc, qui avait le verbe haut mais n’était pas vraiment antisémite.
Il nous faut nous demander si un ennemi des Juifs écrirait que « Les Juifs ont donné Dieu au monde » ou « Je donnerai ma vie pour défendre le dernier Juif en Europe. » Il faut se demander comment il a pu tisser des relations si proches et si intimes avec des amis Juifs pendant toute sa vie, des gens qui n’auraient pas toléré un seul instant l’affection d’un ennemi des juifs, et qu’il l’ait confirmé par ses écrits avant et après la mort de son frère.
Il condamna l’antisémitisme, il approuva le Sionisme, il reçut l’éloge des dirigeants Juifs, et dès 1934, alors que de nombreux intellectuels et hommes politiques ne se déterminaient pas, il lança un appel pour qu’on porte secours aux Juifs de l’Allemagne Nazie, et multiplia les condamnations publiques du National-Socialisme et de l’antisémitisme. C’était un Chrétien bon et aimable, qui aurait dû être plus prudent dans certains de ses propos, mais qui fit ses preuves au moment crucial, alors que ce ne fut pas le cas pour d’autres.
« On voit de grandes choses quand on est dans la vallée, écrivit-il, on ne voit que des petites choses quand on est au sommet. » Proposer une évaluation de cet homme en observant le sommet à partir du point le plus bas de cette vallée serait faire preuve d’une tragique myopie. Mieux vaut laisser le mot de la fin au Rabin Stephen S. Wise, l’un des plus éminents dirigeants Juifs en Amérique dans la première moitié du XXè siècle. « Lorsque arriva l’Hitlérisme, il fut l’un des premiers à se déclarer d’un manière franche et directe, digne de sa grandeur d’âme et de son courage.
Saint ? Qui sait ? Antisémite ? Pas du tout.
Source : http://www.thecatholicthing.org/columns/2013/gkc-saint-maybe-anti-semite-no.html
Michael Coren est présentateur radio et TV à Toronto, Canada. Son éditorial parait chaque semaine dans de nombreux journaux. Il est l’auteur de treize livres, dont Hérésie et Pourquoi les Catholiques ont raison.