Partie de la mouvance écologique – quelle planète laisserons-nous à nos enfants ? –, la remise en cause des baby-boomers nés entre 1943 et 1960 s’est vue accentuée par une question lancinante lors de la crise sanitaire : a-t-on sacrifié les jeunes pour « sauver » les plus âgés ? Selon une enquête Odoxa/Le Monde de février dernier, 56 % des Français craignent un choc entre les seniors et la jeunesse.
Renversement anthropologique
Cette vision, statistique, minore sans doute la force du lien tissé entre les générations, fondement de l’unité d’un pays, et le dévouement de certains jeunes envers leurs aînés. Mais elle montre un effritement au point qu’aujourd’hui, le philosophe Robert Redeker voit apparaître, avec la pandémie, un « renversement anthropologique » sans précédent, inversant la chaîne des générations qui faisait que les parents se « saignaient aux quatre veines » et se sacrifiaient pour leurs enfants. Désormais, selon lui, ce n’est plus la génération qui précède qui est sacrifiée sur l’autel du « jouissons sans entraves », comme en mai 1968, mais celle qui suivra. Après nous le déluge, en quelque sorte.
Et c’est vrai aussi en matière de foi. Il suffit de voir la baisse des inscrits au catéchisme, du nombre de prêtres, et les baptêmes divisés par deux entre 1908 et 2015. Avec, çà et là, d’heureuses exceptions… Mais la prophétie de Michée dans l’Ancien Testament reste valable : aux enfants « vous enlevez pour toujours la gloire de m’appartenir », dit-il de la part de Dieu.
Mais ce constat, douloureux, ne doit pas être le prétexte à baisser les bras. On a vu aussi, dans l’histoire, des enfants racheter leurs parents indignes – ils ne le sont pas tous ! –, comme le fit saint François de Borgia, arrière-petit-fils (!) du pape Alexandre VI, servant les pauvres et devenant, malgré son humilité, le troisième général de la Compagnie de Jésus… Il est possible que ce même appel à la sainteté soit celui des générations à venir.
« Le monde d’aujourd’hui est comparable à un instrument à broyer », un pressoir, remarquait déjà saint Augustin face aux guerres et autres calamités de son temps. Mais, ajoutait-il, « il faut qu’il y ait des pressoirs », pour que l’huile, si précieuse, puisse en sortir : une huile qui parfume, adoucit, assouplit…
De la même manière que pendant la Première Guerre, un héroïsme du quotidien avait vu le jour dans les tranchées, cet humble sens du sacrifice sera nécessaire pour reconstruire une civilisation digne de ce nom. À leur façon, les soignants du premier confinement ont montré le chemin, quelques semaines durant…
Chacun de nous en est donc capable. Comme le fit sainte Thérèse de l’Enfant-Jésus, exprimant le désir intense d’accomplir « les oeuvres les plus héroïques », d’être « guerrier, prêtre, apôtre, docteur, martyr… », et finissant par découvrir sa véritable vocation : une « petite voie » d’amour, humble et cachée.
Mais à son exemple, pour être fécond et durable, ce don de soi au profit de ce qui nous dépasse devra s’enraciner dans le sacrifice par excellence : celui du Christ sur la croix.