Le pouvoir fait-il un bon calcul en précipitant le processus législatif afin de faire voter la loi sur le mariage dit « pour tous » ? On sait dans quelle situation déplorable il se trouve en ce moment. Désavoué par les sondages, empêtré dans les suites de l’affaire Cahuzac, ne parvenant pas à rendre crédible son choc de moralisation, comme s’il ne lui suffisait pas de lutter contre la récession économique, le Président est pris comme dans une nasse dont on voit mal comment il pourra sortir. Dans ce contexte, que peut-il gagner à imposer par la force la réforme du mariage, dont il n’avait pas du tout prévu qu’elle dresserait une partie impressionnante du pays contre lui ? Peut-être joue-t-il le durcissement pour mieux stigmatiser l’adversaire, le désigner comme extrémiste, le déconsidérer comme factieux.
Il y a là, incontestablement, un piège dont il ne faut pas sous-estimer le danger. Il y a un risque de montée de la violence verbale et des provocations. Bien sûr, il y a beaucoup de rhétorique fallacieuse dans tous ces propos accusateurs. Ceux qui se plaignent d’être chahutés par les militants antimariage homo semblent oublier qu’ils ont été les bons premiers à manifester violemment. C’est tout de même Caroline Fourest qui a encouragé les Femen dans des opérations qu’il lui est arrivé d’accompagner. Quand je vois que l’on s’indigne des chahuts montés contre Erwann Binet, je ne puis oublier que ceux qui jettent les hauts cris ne protestaient nullement devant certaines actions de commandos destinées à couvrir la voix de ceux qu’on voulait interdire d’expression publique. Quand j’entends que l’on ose attribuer la responsabilité morale d’une agression contre un couple d’homosexuels aux dirigeants de la Manif pour tous, je considère qu’il y a déni d’honnêteté, d’autant qu’on passe systématiquement sous silence les agressions dont ces derniers ne cessent d’être l’objet.
Donc, il s’agit de remettre les pendules à l’heure et ne pas se laisser impressionner par un discours de diabolisation. Mais en même temps, il s’agit de garder à la protestation son style original. Car même si le combat devient plus âpre, il lui faut rester digne et, en tout état de cause, non violent. C’est à maintenir son authenticité qu’il déjouera les pièges et affirmera sa haute légitimité morale.
Chronique lue sur Radio Notre-Dame le 15 avril 2013.