Au moment d’écrire cette chronique, un double problème se pose à nous. Nous ne sommes ni critique d’art, ni théologien. Dès lors, quelle légitimité aurions-nous pour rendre compte de cette pièce ? Pourtant, la solution à notre problème se trouve dans la pièce elle-même. Particulièrement dans l’une de la dizaine de scènes jouées à l’espace Bernanos par la compagnie du caillou blanc et sélectionnées parmi les 24 que comporte l’œuvre originale.
Voici la scène. Deux amies se retrouvent au vernissage de l’exposition du peintre Arcabas Passion-Résurrection. Toutes deux contemplent un tableau du Christ en Croix. La première, catholique érudite, spécialiste de l’histoire de l’art et sûre de tout savoir, le regarde superficiellement, le comparant à toutes les œuvres produites sur le sujet, blasée, plus préoccupée par les petits fours qui l’attendent que par l’événement auquel l’œuvre renvoie. La seconde, se décrivant comme quelqu’un de simple et non chrétienne regarde fixement le tableau, se focalisant sur la blessure au côté droit. Elle n’écoute qu’à peine le babillage incessant de sa comparse et ses remarques condescendantes, pour finir émue aux larmes, atteinte au plus profond d’elle-même par le mystère qu’elle contemple.
Ainsi, tout en subtilité et en paradoxes, en ombre et en lumière, la pièce Gabbatha nous convie à toucher au mystère de l’Incarnation, comme ça, tel que nous sommes, car il parle justement à chacun d’entre nous. Elle nous place, comme les acteurs, sur le Pavé, en hébreu Gabbatha1, où Jésus fut jugé par Pilate. Nous rappelant ainsi qu’en lisant l’Évangile « on y apprend son rachat, certes, et c’est la Bonne Nouvelle, mais on y découvre aussi – c’est la mauvaise – qu’on est l’assassin », comme le dit Fabrice Hadjadj, l’auteur.
Elle nous conduit également entre rire et larmes, touchés par le tragique des vies humaines représentées et la cocasserie des situations, mais aussi par la beauté de la Miséricorde Divine. Ces éléments sont d’ailleurs merveilleusement assemblée dans la scène où l’ange de la Résurrection a mission de faire rentrer, deux par deux, les humbles dans le Ciel.
Conçue comme commentaire à un livre d’art rassemblant le polyptyque d’Arcabas, Gabbatha a été pensée comme un jeu de l’oie se jouant sur les dalles du Pavé, où les spectateurs lanceraient les dés pour décider de la prochaine scène jouée, les impliquant jusqu’au bout. Cette mise en scène ambitieuse n’a pas été retenue, mais l’on ne peut s’empêcher d’être cependant pleinement interpellé par la pièce, par cette galerie de personnages, par les tableaux d’Arcabas projetés, parfois simple décor, parfois partie prenante de la pièce, par ces acteurs qui nous apostrophent, jusqu’aux lectures de l’Évangile qui nous accompagnent dans la pièce pour nous conduire durant le carême, cahin-caha, jusqu’à la Résurrection de Pâques.
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Lire l’entretien sur Gabbatha avec la Compagnie du Caillou Blanc.
« Gabbatha ». Du mardi 5 au dimanche 17 février 2013
du mardi au samedi à 20h30 et le dimanche à 16h
À l’Espace Bernanos 4 rue du Havre – Paris 9ème.
Réservation au 06.60.85.74.54
- Signification du mot grec « Gabbatha »