Nous assistons à une scène de « The Lady Eve », comédie farfelue dirigée par le brillant Preston Sturges. Henry Fonda est l’héritier naïf de la fortune d’une brasserie. Il ne sait pas, ça ne l’intéresse pas, comment son père a amassé des millions avec « Pike’s Pale », « Pike,la bière des universitaires ». Sa passion: l’ophiologie, il adore les serpents. C’est ainsi qu’il se trouve à bord d’un navire de croisière, de retour d’une expédition de chasse aux serpents, et toutes les jeunes femmes n’ont d’yeux que pour lui — et sa fortune. Y-compris Barbara Stanwick, et son père, Charles Coburn. Ce sont des pros du jeu. Elle s’arrange pour que tous trois soient à la même table. La conversation vient sur le poker.
« Regardez! » dit Henry Fonda, faisant un tour de cartes digne d’un gamin de huit ans.
— Oh ! Hopsie — dit la fille — c’est fantastique. Comment diable faites-vous?
— Facile, dit-il, vous placez l’as dans le creux de la main, comme çà.»
Le lendemain, il est lessivé de 20 000 dollars. Mais le film a une heureuse fin.
J’ai songé à cette scène et à l’inconsciente vanité, à la naïveté du pigeon, inspiré par le dernier exemple de « pigeonnage » donné par la hiérarchie catholique américaine. Je ne crois pas que la plupart de nos évêques soient des hérétiques ou des traîtres. Le problème avec le jeune M. Pike n’était pas son amour des serpents — l’espèce naturelle, rampant dans le jungle Amazonienne. Il était incapable d’identifier les serpents à deux jambes. C’était un brave garçon, un peu demeuré, et inexpérimenté dans la vie.
La plupart de nos lecteurs [Américains] ont entendu parler de la tentative de nationalisation de l’instruction publique sous le titre de « Tronc Commun de Programmes ». Il y a beaucoup à en dire — en mal — et je me suis déjà largement exprimé ailleurs. Plus je le considère, et plus il me paraît inhumain: utilitairement réducteur, hostile à la littérature, exagérément laïque, divorcé de l’Histoire et de la culture occidentales, frein à l’imagination, et incompétent en mathématiques comme en grammaire.
Poésie et romans sont jetés aux orties au profit de ce que les promoteurs appellent — oh! le vilain mot! — « textes », comme si un texte était une substance amorphe à décortiquer à l’aide de programmes acides, tandis que roman ou poème sont un monde où on pénètre avec reconnaissance et humilité.
L’Association Nationale de l’Enseignement Catholique [N.C.E.A.] l’a adopté, tout simplement parce qu’elle est une imitation de l’Association Nationale de l’Enseignement, avec en plus un crucifix rangé dans un tiroir. Ces deux associations ont les mêmes vues sur l’enseignement. Ni l’une ni l’autre n’incite à étudier les classiques.
Vous ne trouverez pas sur le site de la N.C.E.A. de textes du philosophe Cardinal Newman, ou de l’amoureux de l’art John Ruskin, ni même du poète contemporain hanté par le Christ, l’agnostique Matthew Arnold ; tous trois ont abondamment écrit sur un enseignement véritablement humain. Vous n’y trouverez pas non plus un seul de nos contemporains ardents défenseurs du bien, du vrai, du beau. Vous y trouverez un patois [patois en français dans le texte] auto-admiratif, vous ne verrez aucune mention de Stratford Caldecott. [Écrivain, Philosophe catholique anglais].
Pourquoi nos évêques devraient-ils emboîter le pas à la N.C.E.A. ? Il existe d’autres voies. Regardez le cas des enfants qui étudient à la maison. Deux millions d’enfants américains font actuellement leurs études chez eux. Leurs parents ont en général regardé ce qui se passe à l’école, et ont choisi de faire exactement le contraire.
Ces enfants écrasent les autres dans ces maudits tests standard, et réussissent si bien à la Fac que les comités d’admission partent à leur recherche. S’ils sont chrétiens ils ont toutes les chances de bâtir une foi solide et joyeuse. Ils ne seront pas invités à lire des saletés porno par des enseignants lubriques qui veulent que les enfants reçoivent le « savoir ».
Ils n’ont pas les yeux écarquillés quand on parle de l’Enfant Prodigue. Ils semblent plus aptes au bonheur que leurs contemporains scolarisés, et sont pleins de gentillesse envers les petits. J’en ai observé des centaines au cours des vingt dernières années, et je peux les reconnaître au milieu de la foule.
Autre possibilité: les écoles « nouveau style », établissements catholiques qui poussent partout comme des champignons dans la forêt de l’enseignement de masse — des écoles investies d’une nette mission religieuse, où les écoliers reçoivent un enseignement authentiquement humain. Je pense au harpon accroché au mur d’une salle de classe de l’école « The Heights ». L’excellent professeur d’Anglais s’assure que les garçons réfléchissent aux éternelles questions qui se posent à bord du « Pequod » [le navire baleinier du roman Moby Dick] avec l’insensé Capitaine Ahab.
Ces écoles « nouveau style » vont à contre-courant. D’autres écoles abrègent les récréations; en font une récompense. D’autres écoles essaient de faire des filles avec des garçons, ou les initient à la drogue. Elles font d’enfants des petits adultes. D’autres encore enseignent aux écoliers à rejeter la sagesse des anciens. Elles en font des pigeons parfaits pour les propagandistes [des théories à la mode].
Ces écoles « nouveau style » agissent selon la nature, enseignent à leurs élèves la vénération et la reconnaissance envers les anciens — ce qui les arme contre les propagandistes.
Alors, quand le dernier snob de l’enseignement se présente, avec des affaires réputées aptes à produire des milliards, pourquoi donc nos évêques les écoutent-ils? Excellences, pourquoi êtes-vous des cibles si faciles ?
Écouter des « experts » laïques vous a-t-il jamais été utile? Quand on vous a raconté qu’un pédophile pourrait être guéri avec une petite thérapie? Que les garçons ne souffriront pas? Que la libéralisation des lois relatives au divorce ne fera pas de mal? Qu’il suffit de croiser les doigts pour ne pas subventionner les pilules abortives ?
Pourquoi vous fourrez-vous dans des affaires embarrassantes? Pourquoi, au lieu de lire le New York Times, ne liriez-vous pas, pour une fois, les écrits de Newman? Pourquoi ne demandez-vous pas conseil à des fidèles catholiques, écrivains, enseignants (y-compris enseignants à domicile), responsables d’écoles indépendantes des bureaucrates diocésains ?
Pourquoi devriez-vous être toujours pigeonnés? Pourquoi vous trouve-t-on à quinze kilomètres du front — en embuscade avec vos petits gâteaux et votre tasse de thé? Pourquoi n’êtes-vous jamais à l’avant-garde, éclaireurs que vous devriez être?
Pourquoi traîner, hurlant avec les loups?
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Photo : Les hurlements des loups.
Source : Wise, Like a Pigeon