Aux états-unis, il n’est aucun article, quelle que soit l’orientation du journal, qui n’explique François par son itinéraire argentin et plus largement son engagement latino-américain. Qu’il arrive aux États-Unis via Cuba n’en serait qu’une preuve supplémentaire. Malheureusement, pour certains de ses critiques, on n’a pas réussi à le rattacher au péronisme de sa jeunesse ni à la théologie de la libération de sa maturité. Il échappe aux étiquettes. Pas à toutes néanmoins puisque l’identité latino se suffirait à elle-même.
Ces critiques sont les mêmes que ceux qui hier n’appelaient Jean-Paul II que le Pape polonais ou Benoît XVI le Pape allemand. En l’occurrence, si le pape François constitue un défi pour de nombreux Américains, spécialement les catholiques, c’est que le défi est en réalité celui de leur propre Église, et non le fait du Pape. Chacun sait le poids démographique grandissant des Hispaniques parmi les catholiques américains, estimé aujourd’hui à environ le tiers du total, alors que les Hispaniques forment 23 % de la population américaine au dernier recensement. Ceci se marque dans la culture, le rituel, la langue, dans les paroisses, mais aussi par les choix de société. Les évêques américains se sont adaptés à ces nouvelles réalités et se sont lancés aussi à la découverte du Sud, en se rapprochant des diocèses du Mexique et, au-delà, des pays de l’hémisphère Sud.
Le hiatus n’en est que plus profond face à certains choix politiques comme le changement climatique ou l’immigration. Ce dernier thème est celui qui aujourd’hui — après hier et toujours l’avortement — sépare le plus profondément la hiérarchie catholique et le corps politique. Huit candidats à la candidature à la présidence des États-Unis sont catholiques, la plupart côté républicain, dont deux d’origine cubaine (Rubio et Cruz), on compte également le speaker de la Chambre des représentants — le républicain John Boehmer qui a invité le Saint-Père à s’exprimer devant le Congrès pour la première fois de l’Histoire —, le vice-président Joe Biden, la majorité des juges de la Cour suprême, phénomène nouveau dans l’histoire américaine. Mais leurs positions sont extraordinairement éloignées de celles de la Conférence épiscopale.
L’origine de Jorge Mario Bergoglio lui a sans doute réservé une meilleure écoute à Cuba que celle dont ont bénéficié ses deux prédécesseurs. Il joue un rôle non négligeable dans la prévention des conflits internes au Venezuela entre le président Maduro et l’opposition — ce n’est pas par hasard si le Secrétaire d’État choisi par le Saint-Père, le cardinal Pietro Parolin, était précédemment nonce apostolique à Caracas.
Mais Jorge Bergoglio devenu pape se situe au-dessus de toutes les particularités de naissance ou de formation, Pontife universel. Derrière les critiques qui se sont exprimées outre-Atlantique, appréhensions et frustrations se mêlent plongeant dans l’actualité la plus récente comme dans l’histoire la plus lointaine. Que le choix du conclave ne se soit pas porté sur l’un des cardinaux des États-Unis. Que la famille Bergoglio n’ait pas émigré à New York mais à Buenos Aires. Parce qu’au fond des choses, ce ne sont pas les Espagnols qui ont « découvert » le continent nord-américain — ou, inversement, que l’hémisphère Sud n’a pas été colonisé par les Anglais. Or quel geste le Pape effectue-t-il ? Il proclame aux États-Unis le premier saint hispanique datant de la première évangélisation, Junipero Serra, mettant ainsi un terme aux controverses autour du cinquième centenaire (1992) qui avaient affecté le discours de ses deux prédécesseurs. Que son voyage, enfin, puisse aussi aider à réduire aux États-Unis même – y compris dans l’Église — le hiatus entre Anglos et Latinos. C’est là qu’est le problème, pas chez le Pape qui au, contraire, est la solution.