La venue aujourd’hui à Radio Notre Dame de François Guillaume, qui m’a toujours semblé porter sur lui le destin de l’agriculture, m’amène à poser à haute voix des questions que je n’ai guère l’habitude de traiter. L’agriculture n’est évidemment pas de ma compétence, avec les problèmes considérables qu’elle pose dans le monde actuel. Mais qui pourrait y échapper ? Elle fait partie de notre condition d’homme, tout simplement parce que nous sommes habitants d’une terre qui nous a été donnée en héritage et qui aura toujours à nous nourrir.
Pourtant, ce n’est pas dans cette direction là que les gens de ma génération ont été invités à concentrer leur réflexion. La sociologie contemporaine nous donnait principalement à étudier la société industrielle, telle qu’elle s’était développée dans les deux derniers siècles et telle qu’elle commandait notre avenir. L’agriculture elle-même était forcément liée à cette société industrielle, qui avait renouvelé ses méthodes et même sa mentalité. N’étions-nous pas en train de passer dans la seconde partie du XXe siècle, de la civilisation des paysans à l’avènement des entrepreneurs en agriculture, le monde agricole étant devenu une sorte d’appendice de l’industrie?
Quelque chose a toujours résisté en moi à cette évolution sans que cela ne ce soit jamais traduit en prise de position militante. J’ai toujours eu le sentiment qu’il serait gravement dommageable d’oublier ce que nous devions à la civilisation paysanne. Et même si celle-ci devait forcément évoluer, en fonction des impératifs techniques et économiques, il me semblait qu’il y aurait une perte inestimable à considérer l’agriculture comme une activité annexe ou subordonnée. La montée en force de l’écologie, dès les années 60, est venue plutôt affermir cette conviction. N’était-ce pas un peu la nature qui se faisait entendre ? La nature au sens de la création que Dieu nous avait confiée pour notre vie et celle de nos enfants. Les véritables écologistes n’étaient-ils pas les paysans ? Mais le drame ne consistait-il pas dans le fait qu’il y avait de moins en moins de paysans ?
Il existait une contradiction sérieuse entre la fin proclamée de l’agriculture et la montée de l’écologisme comme idéologie dominante. J’avais lu Daniel Halévy, son magnifique essai intitulé « Visite aux paysans du Centre », et je me disais qu’il y avait quelque chose de malheureux dans la disparition d’un monde qui nous avait donné encore récemment d’aussi beaux types d’humanité. Et puis, connaissant un peu l’Afrique et ses structures paysannes, je m’interrogeais pour savoir s’il n’y avait pas une erreur monumentale à considérer que la paysannerie africaine deviendrait, comme la nôtre, de plus en plus résiduelle sur la voie du développement. Le retour en force du scandale de la faim, tel qu’il s’est présenté récemment à la conférence de la FAO à Rome, ne nous oblige-t-il pas à redonner toute sa priorité, et même sa primauté, à l’activité agricole ?
Mais toutes ces questions que je me suis toujours posées à mi-voix, je suis content de les confier à François Guillaume, qui a voué son existence au destin de l’agriculture et devrait nous réveiller pour nous dire à quel point elle demeure au centre de notre condition et détermine complètement notre avenir.
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