Il fallait s’attendre à ce que les propos tenus par le pape François à la cinquantaine de parlementaires français, qu’il a reçus samedi à midi, soient disséqués et abondamment commentés. On en a surtout retenu une phrase qu’on s’est empressé de rapporter au débat brûlant sur le mariage homosexuel : « Votre tâche est certes technique et juridique, consistant à proposer des lois, à les amender ou même à les abroger. » On a tout de suite interprété : abrogation de la loi Taubira. Mais le discours du pape, malgré sa concision, ouvrait des horizons plus vastes : « Il vous est aussi nécessaire de leur insuffler (aux lois) un supplément, un esprit, une âme, dirais-je, qui ne reflète pas uniquement les modes et les idées du moment, mais qui leur apporte l’indispensable qualité qui élève et anoblit la personne humaine. »
Si l’Église a quelque chose à apporter dans le débat public, c’est bien dans cet ordre des fins, du bien commun et celui de la personne. Ceux qui poussent les hauts cris et accusent l’Église d’intervenir sur un terrain qui n’est pas le sien, en défiant en quelque sorte la laïcité, n’ont pas lu l’intégralité de ce qu’a dit François. Car celui-ci s’est félicité des relations qui existent en France entre l’Église et l’État et il a fait explicitement allusion à la laïcité. Cette dernière, a-t-il dit, ne consiste pas « en hostilité à la réalité religieuse ou en exclusion des religions du champ social et des débats qui l’animent ».
Il n’y a là aucune confusion des domaines. Le pape ne donne pas de consignes impératives de vote aux parlementaires, il les renvoie à leur responsabilité propre qui est de voter la loi. On ne voit pas au nom de quoi on interdirait dans le débat public l’expression d’une réflexion approfondie, même si elle est inspirée par une conception théologique. Habermas, le grand philosophe du débat démocratique, a bien montré qu’aucune tradition, fut-elle spirituelle, ne doit être exclue, pourvu qu’elle s’exprime dans un langage accessible à la raison commune. Le même pape François vient d’ailleurs d’adresser au Premier ministre britannique une lettre à la veille de la réunion du G8 en Irlande du Nord, où il recommande de ne pas dissocier l’éthique de l’économie. Tous ceux qui veulent faire progresser l’humanité vers plus de justice devraient accueillir avec intérêt et reconnaissance ce point de vue qui ne prétend pas résoudre toutes les questions concrètes mais qui éclaire leur arrière-fond anthropologique. L’homme ne vit pas seulement de pain et le pain doit être le bien de tous, équitablement partagé !