De l’homélie prononcée hier matin sur la place Saint-Pierre par le pape François, je détache un passage qui me paraît définir l’essence même de l’autorité du successeur de Pierre : « Nous célébrons l’inauguration du ministère du nouvel évêque de Rome, successeur de Pierre, qui comporte aussi un pouvoir. Certes, Jésus Christ a donné un pouvoir à Pierre, mais de quel pouvoir s’agit-il ? (…) N’oublions jamais que le vrai pouvoir est le service, et que le pape aussi, pour exercer le pouvoir, doit entrer toujours plus dans ce service qui a son sommet lumineux sur la Croix ; il doit regarder vers le service humble, concret, riche de foi, de saint Joseph, et comme lui, ouvrir les bras pour garder tout le peuple de Dieu et accueillir avec affection et tendresse l’humanité toute entière, spécialement les plus pauvres, les plus faibles, les plus petits. »
Je remarque que François n’a pas hésité à prononcer le mot pouvoir qui est un mot lourd, grevé par sa parenté avec la puissance et toutes les tentations qui en résultent. Il aurait pu très bien parler d’autorité, un terme plus noble et plus subtil, qui se rapporte assez facilement à ce que l’Évangile appelle exousia. Cette exousia que Jésus revendique explicitement. « Il enseignait, nous dit saint Matthieu (7-29) comme ayant exousia ! Ou encore : afin que vous sachiez que le fils de l’homme a sur terre l’exousia de pardonner les péchés » (Mt 9-6). Je ne puis m’empêcher de penser que le pape a voulu prononcer ce mot lourd de pouvoir en raison même du défi spirituel qu’il comporte et que l’on pourrait définir comme celui qui consiste à transformer la puissance en exousia, c’est à dire en cette autorité qui vient d’en haut et qui ne peut consister que dans le service radical des autres, c’est à dire la charité.
Je réfléchis d’autant plus à cela qu’en ayant choisi ce beau prénom, François, le pape se trouve devant une tâche à la fois magnifique et difficile, si ce n’est impossible. L’humilité absolue du poverello fut pour ses disciples immédiats un vrai souci. François d’Assise n’appartenait-il pas déjà à un autre monde que celui de la terre ? Au royaume eschatologique où les bêtes féroces étaient douces comme des agneaux ? Son disciple et successeur, saint Bonaventure, dut démêler cette difficulté, comme l’a montré le théologien Joseph Ratzinger dans sa thèse de doctorat. La solution, c’est qu’il s’agit d’aimer ce Royaume d’ici-bas, en servant les hommes nos frères. Cela suppose une conversion profonde, celle de soi-même ainsi que du pouvoir que l’on exerce.
Chronique lue sur Radio Notre-Dame le 20 mars 2013.