Avec des journées aussi intenses que celles que nous avons vécues et continuons de vivre, il est difficile de concentrer son jugement. Qui est ce nouveau pape que l’Église nous offre, quel sera-t-il ? Sa personnalité se dessine, se précise. Mais qui pourrait dire encore la figure que prendra son pontificat ? Les tâches sont si vastes, si complexes. Comme s’y prendra-t-il ? Sera-t-il un homme de gouvernement ? Comment choisira-t-il ses collaborateurs ? Nous n’en savons rien. D’ailleurs il faut lui laisser le temps de s’informer, de réfléchir. Ce que nous sommes simplement en mesure de découvrir, c’est peut-être ce que Urs von Balthasar aurait appelé son style. Attention ! Par style il ne faut pas entendre l’apparence. Il faut comprendre l’attitude qui correspond à une construction intérieure, à une maturité profonde qui s’est formée au long d’une vie, à travers ses épreuves, ses rebonds, ses découvertes. Et de ce style, nous pouvons pressentir l’essentiel, non pas tellement à travers des anecdotes, même si elles ressemblent parfois à des fioretti. Ce style a un nom : François !
Peter Seewald, ce journaliste, interlocuteur familier de Benoît XVI, m’a donné la meilleure clé pour mieux penser ce patronage du pauvre d’Assise. Et cette clé, il l’a trouvée chez Benoît XVI, qui, il y a quelques années, lui avait expliqué ce qu’avait signifié l’intervention de François Bernardone en son temps : « L’Église avait besoin d’un renouveau charismatique de l’intérieur, d’une nouvelle flamme de la foi et pas seulement de la connaissance de l’administration et de l’ordre politique. Et cela est vrai aussi aujourd’hui. » Ô combien ! Ceux qui seraient tentés d’opposer les papes entre eux devraient faire très attention. Certes, il est bien possible qu’il y ait un style Benoît et un style François. Joseph Ratzinger se réfère spontanément au fondateur du monachisme occidental, tout comme Jorge Mario Bergoglio se réfère naturellement au poverello. Mais il serait vain de mettre Benoît et François en opposition. L’un et l’autre ont fait fructifier, avec leur inspiration propre, leur incarnation dans leur époque, l’inépuisable génie du christianisme. Dans son entretien au Corriere della Serra, Peter Seewald déclare encore : « Benoît XVI a purifié le navire de l’Église et instruit l’équipage. François mettra les moteurs en mouvement pour le faire aller dans la mer de notre temps. » On peut présumer que la mer ne sera pas toujours étale, qu’il y aura des tempêtes. Mais François d’Assise est un de ces saints qui forcent l’impossible.
Chronique lue sur Radio Notre-Dame le 18 mars 2013.