François à Assise - France Catholique
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François à Assise

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On ne pouvait concevoir de visite plus symbolique que celle-là ! Depuis que le nouveau pape s’est choisi le nom de François, auquel s’attache, dans la mémoire de la chrétienté, un contenu si fort, on attendait cette venue à Assise, cette ville qui a gardé comme l’empreinte du poverello au cœur de cette belle province d’Ombrie. On avait, ici ou là, laissé entendre qu’il pourrait, à cette occasion, faire quelques déclarations ou annonces fracassantes. Cela n’a pas été le cas. Même accompagné de ce qu’on appelle désormais son G8, le Saint-Père en est encore à une phase de réflexion sur la réorganisation des services du Saint-Siège, en symbiose avec les aspirations de l’Église universelle. On retiendra, en revanche, le fond des propos tenus à Assise et qui consistent en une réactualisation de l’esprit de l’Évangile.

Provocateur, ce nouveau pape ? Sans aucun doute, mais il faut faire très attention au sens de sa provocation. Les démagogues, eux aussi, savent manier les mots pour se faire valoir, susciter l’intérêt et ce qu’on appelle désormais le buzz dans les réseaux sociaux. Incontestablement, François ne craint pas le langage qui détonne et fait réagir, mais c’est toujours en vue d’un approfondissement de la conscience personnelle et collective. Ainsi, en s’en prenant à « la mondanité », c’est à un examen intérieur qu’il veut inciter ses auditoires : « La mondanité, une lèpre, un cancer de la société, qui tue la personne, qui tue l’Église. » L’expression fait mouche, parce qu’elle est bien autre chose qu’un procédé polémique qui donne l’avantage sur la scène publique. Il s’agit d’une monition proprement évangélique, spécifiquement johannique, et qui met en garde contre l’esprit du monde. Et comme si cela ne suffisait pas, François poursuit en revenant au mystère central de la Croix : « Le christianisme sans la croix, sans Jésus, sans dépouillement est comme une pâtisserie, une belle tarte. Le danger de la mondanité est un très grand péril. » Avec François, aucun risque que le christianisme soit ramené à un humanisme ordinaire, car à l’image du saint d’Assise il est toujours renvoyé à l’imitation ardente du Christ rédempteur.

Le Pape n’est nullement disposé à affadir le sel de la Bonne Nouvelle, tout comme il n’est pas prêt à adhérer à l’image d’un poverello ramené aux dimensions d’un écologiste sympa. Il n’a pas hésité à dénoncer la vision « doucereuse » de l’idéal de paix franciscain, ramené à « une espèce d’harmonie panthéiste avec le cosmos ». Cela m’a rappelé, personnellement, le premier grand entretien que j’avais obtenu du cardinal Jean-Marie Lustiger, tout au début de son épiscopat à Paris. Pour comprendre saint François d’Assise, m’avait-il dit, il faut aller bien au-delà du jeune homme non conformiste qui se dépouille de ses vêtements devant l’évêque d’Assise. Il faut accompagner François jusqu’à l’ermitage de l’Alverne, où il reçoit les stigmates de la Passion. C’est exactement la conviction du Pape, pour qui le saint d’Assise n’est devenu l’amant de la pauvreté et le pèlerin de la paix que pour s’être complètement configuré au Christ crucifié. N’est-ce pas aussi ce qui avait retenu le sceptique Renan, pour qui la grandeur unique de François avait été d’accéder à la ressemblance singulière de son maître ?

Lorsque le Pape s’est rendu à l’institut Serafico, pour rencontrer 80 handicapés, c’est cette ressemblance christique qu’il a mis tout de suite en évidence : « Les plaies ont besoin d’être écoutées et reconnues, Jésus est présent et caché dans ces jeunes », atteints si profondément dans leur chair. Les téléspectateurs ont pu voir à ce moment François embrassant un à un ces jeunes gens, n’en voulant oublier aucun. Tout au long de cette journée, le Pape n’a cessé d’être au plus proche des personnes auxquelles il s’adressait, quelles que soient leurs conditions. Il a pris son repas avec des personnes assistées par la Caritas, assis auprès d’un petit garçon marocain de sept ans et a parlé avec tous ses commensaux. Plus tard, il s’est retrouvé à la cathédrale Saint-Ruffin pour rencontrer le clergé à qui il a donné des conseils pastoraux. Toujours le concret, le retour au terrain. Souvent avec une pointe d’humour. N’a-t-il pas invité les couples à se réconcilier à la fin de chaque journée, « même si les assiettes volent » ? Cette extrême empathie avec les personnes est significative d’une manière d’être et d’un regard. S’il s’affirme comme un réformateur, ce pape ne ressemblera pas à quelque utopiste en mal de cité idéale, il ne cherchera qu’à exercer une mission de service, toujours à la recherche du bien spirituel et social de ses contemporains.

François n’a pas oublié non plus les filles de sainte Claire, l’autre grande figure d’Assise, qui a sa personnalité très affirmée et qui n’est pas le simple double du grand saint. Là encore, le Pape s’est montré soucieux de donner des conseils spirituels adaptés : « Que les monastères ne soient pas des purgatoires. » Ce qui ne veut pas dire que les sœurs doivent ressembler à des hôtesses de l’air. C’est la maternité spirituelle qui doit être le but de leur vocation, ce qui suppose de ne pas être trop éthérées.

On retrouve bien là le style Bergoglio, tout à fait particulier. Notre pape révère ses prédécesseurs, Jean-Paul II qu’il va bientôt canoniser, Benoît XVI qu’il ne cesse de donner en exemple, mais il est appelé à diriger l’Église dans une étape nouvelle, inédite. Il se doit de mûrir ses décisions, en s’entourant de tous les conseils, et notamment de ceux des huit cardinaux qu’il a choisis à cet effet. Il est légitime de s’interroger sur la suite. Il apparaît certain qu’il saura prendre les mesures nécessaires pour changer ce qui doit l’être, quitte à bousculer les habitudes, refonder si nécessaire l’organisation romaine. Pour autant, ceux qui pensent qu’il est prêt à sacrifier certains éléments essentiels de la Tradition et de la discipline de l’Église risquent d’être très déçus. Ainsi que l’écrit Stéphanie Le Bars, dans un article du Monde, François n’est sûrement pas disposé à sacrifier aux « fantasmes » projetés sur lui, ni sa volonté de changer l’Église, en la rendant plus transparente à sa mission.