France, pays de mission ukrainienne - France Catholique
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Noël : Dieu fait homme
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France, pays de mission ukrainienne

Après nos numéros 3440 et 3449, voici le troisième volet de notre présentation de l'Église gréco-catholique ukrainienne en France.
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L’Église gréco-catholique ukrainienne est présente en France depuis plus d’un siècle. Son histoire récente est riche du martyre de ses évêques et de ses prêtres pendant la période stalinienne. Le père Mikhaïlo Romaniuk, recteur de la cathédrale Saint-Volodymyr-le-grand à Paris, en témoigne : sa vocation a grandi dans cette église des catacombes qui résistait avec courage à la persécution communiste. Une icône de la cathédrale qui fait mémoire des martyres du communisme en atteste également. Des 3 000 prêtres en 1939, il n’en restait plus que 300 en 1982, la plupart très âgés, quand prend fin la persécution contre l’Église gréco-catholique ukrainienne. La renaissance religieuse va être fulgurante et se poursuit aujourd’hui encore : pour 5 millions de fidèles, on compte en Ukraine 3 000 prêtres, avec une moyenne d’âge de moins de 40 ans, et 800 séminaristes.

Et tandis que les Ukrainiens ont émigré partout dans le monde, surtout en Europe ou aux États-Unis, les prêtres missionnaires les ont suivis. Même en Russie, où se sont installés les descendants des déportés de l’ère stalinienne, les foyers spirituels ukrainiens sont vivaces. « La persécution stalinienne contre les catholiques ukrainiens a créé une dissémination de la foi en Russie et en Occident », constate Mgr Borys Gudziak, évêque de l’éparchie d’Europe occidentale, qui comprend le Benelux, la Suisse et la France.

L’éparchie compte 18 prêtres à son service pour 50 000 fidèles, avec de nombreuses missions à Lille, Lyon, Metz, Strasbourg, Reims, et bientôt Marseille et Toulouse. L’installation parisienne est la plus ancienne. Malgré la brutalité de l’histoire, cette Église, qui suit le calendrier liturgique julien, garde une vivacité et un dynamisme impressionnants. La messe chantée, suivant la liturgie de saint Jean Chrysostome en temps ordinaire, celle de saint Basile pendant les fêtes et les dimanches de carême, attire dans la cathédrale plus de 600 fidèles au cours des trois messes dominicales. Ils viennent de toute l’Île-de-France, parfois de très loin pour assister à l’office. Encore les familles trop éloignées ne peuvent-elles venir chaque dimanche. Priante et recueillie, l’assemblée participe à l’office chanté, essentiellement en ukrainien. Les derniers arrivés s’entassent debout au fond de la nef comble, jusque sur les marches à l’extérieur. Chaque fête — le baptême de Jésus, la bénédiction des herbes sèches des pâturages, la fête des premiers fruits, etc. — est l’occasion d’une célébration particulière, avec ses diverses expressions traditionnelles : le plat de la « coutia » à Noël, les œufs peints bénis à Pâques. Outre le « grand carême » avant Pâques, les Ukrainiens suivent les autres jeûnes du rite byzantin : avant Noël, avant la fête des saints Pierre et Paul, et avant l’Assomption. Les offices de Matines et des Vêpres sont aussi assidûment suivis tout au long de l’année. Le baptême, selon le rite byzantin comprend l’immersion dans l’eau, la confirmation, et confère la sainte communion en même temps. Le P. Romaniuk a ainsi célébré 58 baptêmes en 2014.

La communauté, que le P. Romaniuk visite autant que possible lors de la bénédiction annuelle des maisons, reste très jeune : les fidèles sont venus en France étudier ou chercher du travail, il en arrive d’autres chaque jour. Beaucoup retourneront dans leur pays, d’autres s’installent définitivement. Les enfants des familles se retrouvent le samedi dans « l’école ukrainienne » de la cathédrale qui accueille 160 enfants de 5 à 16 ans. Avec l’aide des sœurs Servantes de l’Immaculée Conception, ils reçoivent un enseignement en ukrainien portant sur la langue, l’histoire et le catéchisme. Mais les locaux de la cathédrale sont trop petits, et une partie des enfants est accueillie dans la paroisse voisine de Saint-Thomas d’Aquin. Dans le cadre de la catéchèse, des activités sont aussi proposées à cent autres enfants qui ne suivent pas l’école ukrainienne. Le P. Romaniuk confie avec fierté que les jeunes sont très engagés et volontaires pour venir à la messe, même après leur journée de cours. Il emmène d’ailleurs 50 d’entre eux en pèlerinage à Taizée cette année. Pour toutes ces activités, il s’appuie sur une équipe motivée comprenant outre les religieuses 3 diacres, 1 séminariste, et 1 prêtre étudiant.
Une des principales difficultés du P. Romaniuk est l’exiguïté des locaux. Il faudrait d’autres lieux de culte pour tous les fidèles qui le réclament, de vrais locaux administratifs, des chambres pour les prêtres, des locaux paroissiaux plus grands pour accueillir une communauté qui ne cesse de croître depuis dix ans. Car avec les multiples activités qui ont fleuri, du catéchisme — pour adultes et pour enfants — au groupe biblique, en passant par les répétitions de la chorale, les locaux et la nef de la cathédrale sont occupés sans cesse. Et lors des grandes fêtes, il est impossible d’accueillir les 3 000 fidèles qui se pressent aux offices. Interrogé sur ce problème, Mgr  Gudziak fait part des discussions en cours avec le cardinal Vingt-Trois pour ouvrir deux nouveaux lieux de culte, dans l’ouest et l’est parisien.

Le P. Romaniuk a pu constater que les événements d’Ukraine ont eu de forts retentissements sur les paroissiens. Mais au-delà de la tristesse et du deuil, l’unité des Ukrainiens s’est renforcée autour de ces événements, et s’est même étendue aux non-croyants. « Les étudiants ukrainiens, qui sont engagés dans des manifestations récurrentes pour soutenir la cause démocratique, viennent maintenant à l’église prier pour l’Ukraine avec les fidèles », nous confie le P. Romaniuk. Les paroissiens sont aussi solidaires de leurs compatriotes victimes de la guerre, et se sont organisés pour faire parvenir des aides aux malades, aux orphelins et aux blessés. Tout comme dans leur pays, les Ukrainiens se sont soudés face à l’épreuve et à la violence dont ils sont victimes (cf. F.C. n° 3440).

Loin de rester fermée sur elle-même, la communauté catholique ukrainienne de France rayonne autour d’elle. Après sa nomination à la tête de l’éparchie, Mgr Gudziak a lancé un projet culturel et spirituel autour de l’ancienne église de l’abbaye Saint-Vincent à Senlis, fondée par la reine Anne de Kiev. La chapelle, rachetée avec le soutien de donateurs ukrainiens, est consacrée aux saints Boris et Hlib, princes apôtres de la paix, martyrisés par leur propre frère en 1015, et est le siège d’un centre culturel. L’évêque a aussi décidé d’ouvrir un « service pastoral pour les marins ukrainiens qui sont, nous rappelle-t-il, la troisième nation sur les mers ». Deux séminaristes sont en formation en vue de cette mission, qui se fera en soutien des prêtres latins déjà affectés à ce service. Un prêtre ukrainien assure aussi le service liturgique au profit de la communauté gréco-catholique hellène de Corse.

Mgr  Gudziak bénéficie de l’élan missionnaire ukrainien, et prépare 20 séminaristes candidats pour la France, célibataires ou mariés, et qui commencent à être ordonnés (cf. F.C. n° 3449). Ils doivent être prêts à rencontrer la société française, libre mais aussi très sécularisée, et apprendre le français. Des vocations ont aussi surgi parmi la communauté vivant en France, et 2 séminaristes sont déjà en formation. Tous les deux mois, les prêtres et diacres de l’éparchie et les séminaristes candidats se retrouvent autour de l’évêque à l’abbaye de Chevetogne en Belgique. La maison de l’évêché a été transformée pour accueillir diacres et séminaristes, avec leurs familles lorsqu’ils sont mariés. « Nous accueillerons tout le monde ici dans l’évêché », souhaite Mgr Gudziak. Il voit cette maison comme un laboratoire spirituel et liturgique, à la recherche d’un nouveau style : « Il y a dans l’Église ukrainienne une force, un dynamisme, proclame-t-il avec conviction. Nous n’avons pas de garanties, mais nous avons l’expérience dure de la persécution qui montre que là où il y a une générosité d’esprit et une fidélité, il y a la vie. Notre pauvreté n’est pas une difficulté mais un avantage. C’est un défi : j’espère construire une attitude apostolique. Quelles garanties ont eu Pierre ou Paul lorsqu’ils sont arrivés à Rome ? Notre Église a vécu d’immenses difficultés. Ici, la vie est plus facile, nous pouvons sans peur faire quelques sacrifices. » Ce dynamisme et cette ferveur marquent les esprits. En visite à la cathédrale Saint-Volodymyr-le-Grand le 31 mai 2015, le cardinal Sandri, préfet de la Congrégation pour les Églises orientales, proclamait ainsi que l’éparchie est un modèle de foi pour l’Ukraine, mais aussi pour l’Église tout entière. On pourrait ajouter pour l’Église de France tant est fort le contraste entre cette communauté jeune et vivante et le commun des assemblées de rite latin, surtout en province.

L’insertion de l’Église gréco-catholique ukrainienne dans l’Église et la société françaises est au cœur des préoccupations de l’éparchie, et se traduit dans divers faits concrets. Des pèlerinages ukrainiens sont organisés à Lourdes, Ars, Lisieux ou Senlis. Une belle icône de sainte Thérèse de l’Enfant Jésus orne les murs de la cathédrale Saint-Volodymyr-le-Grand.

À Lourdes, un prêtre et des religieuses accueillent en permanence les pèlerins dans la chapelle ukrainienne. Mgr  Gudziak a vu aussi que « tous les paroissiens gréco-catholiques ukrainiens ne comprennent pas la langue ». C’est notamment le cas des descendants des migrants des années trente. Il est essentiel pour lui que son Église ne devienne pas un « musée folklorique ». Aussi l’ouverture de la liturgie byzantine ukrainienne à la langue française est un des chantiers des prochaines années.

Dans le même esprit, le P. Romaniuk espère faire une messe supplémentaire le dimanche, pour les francophones ; mais il faut pour cela de nouveaux espaces liturgiques. Originaire de Bratislava, Bodan est diacre et étudie à l’institut catholique de Paris depuis une dizaine d’années. Il espère participer à l’ouverture de la liturgie ukrainienne à la langue française, tout comme Cyrille et Méthode ont ouvert la liturgie grecque aux Slaves : « C’est un geste d’hospitalité important pour l’avenir, pour la génération qui est baptisée en ce moment, et qui pourra prier dans la tradition de ses origines. »