Il est beaucoup question des relations franco-algériennes en ce moment, à cause du voyage que le Président de la République doit accomplir à Alger, mais aussi à cause du retour de l’histoire. Chaque année, au moment du 17 octobre, la polémique rebondit à propos de ce qui s’est passé à Paris ce jour-là en 1961. Une manifestation organisée par le Front de libération nationale algérien avait été réprimée par la police. On dispute encore du nombre des morts algériens que l’on doit attribuer aux forces de l’ordre. Évidemment, les enjeux idéologiques de l’affaire empêchent un traitement vraiment serein de la mémoire et des archives. Je n’arbitrerai pas ici le débat, n’en ayant pas les compétences. Tout ce qui touche à l’histoire commune des deux peuples est marqué par une infinie douleur. Cinquante ans après l’indépendance algérienne, les plaies ne sont pas refermées. Et pourtant, nous avons continué à vivre ensemble. L’immigration algérienne est toujours aussi importante sur notre sol, et l’on se souvient d’un voyage triomphal de Jacques Chirac à Alger, où une foule de jeunes gens réclamait un plus large accès aux visas pour venir en France.
Il est possible que les questions de mémoire soient appréhendées de façons très différentes selon les générations. Il s’est passé bien des choses depuis juillet 1962 : des révolutions politiques, une formidable poussée démographique en faveur de la jeunesse, une épouvantable guerre civile qui a ensanglanté le pays de 1991 à 2002. Que devrait peser le contentieux historique et moral de la colonisation face aux réalités nouvelles, aux aspirations des jeunes à l’heure des printemps arabes – il est vrai eux-mêmes douloureux et interminables ? C’est la force du symbolique qui rend toujours présentes les revendications mémorielles. Et elles sont aussi lourdes de ce côté de la Méditerranée, avec une communauté pied-noir qui transmet ses souvenirs d’une autre Algérie et une communauté harki dont on n’effacera jamais la dette contractée de la part de la nation entière. François Hollande propose à tous de « regarder l’histoire en face ». La formule est à considérer, mais il faudra encore beaucoup de temps pour accorder ensemble les seuls historiens, alors que le présent impose ses défis aux portes même de l’Algérie, avec une probable intervention militaire au Mali.