Foi, raison et ignorance laïque - France Catholique
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La justice de Dieu
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Foi, raison et ignorance laïque

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J’ai déjà cité et critiqué ici (avril 2012mai 2012) nombre de déclarations par des érudits patentés, déclarations étranges et mal informées sur la raison dans la religion.

Je voudrais aujourd’hui1 traiter d’une autre de ces déclarations, à savoir que les croyances fondamentales des traditions religieuses, contrairement aux principes scientifiques, ne sauraient être révisées à la lumière de nouvelles preuves.

Cette déclaration recèle plusieurs questions. Tout d’abord, on ne voit pas nettement ce qui est un « principe scientifique ». Bien sûr, les théories évoluent, ou sont remplacées à la lumière de nouvelles découvertes, ou de meilleures vues sur des découvertes précédentes. Mais dans les deux cas, la démarche scientifique elle-même exige qu’on se soumette aux principes de base.

Un scientifique, par exemple, doit admettre que la nature existe, qu’elle est compréhensible, que des théories simples et élégantes sont préférables, avec des hypothèses appropriées, etc. Les sciences sont accessibles non par des « révélations scientifiques » mais par des suppositions préalables. Il est donc difficile d’imaginer quelle sorte de « preuve » nous amènerait à les remettre en question.

Ensuite, l’idée de développement de la doctrine — évolution des croyances au fil du temps en réaction à une variété de défis externes et internes, et d’approches nouvelles — est propre au christianisme, Protestant ou Catholique, ainsi qu’à d’autres religions. Prenons quatre exemples dans l’histoire du Christianisme.

-1- Un des principaux développements de la théologie chrétienne est dû à la rencontre avec la philosophie grecque. Comme l’ont remarqué certains érudits, les penseurs chrétiens des six premiers siècles ont, pour la plupart, plutôt que voir une menace dans les traditions philosophiques païennes, préféré s’en inspirer de sorte que l’Église primitive puisse formuler les croyances fondamentales et résoudre les questions théologiques qui, autrement, eussent été insolubles. Plus tard, le Christianisme entrant dans le Moyen Âge, et approchant l’ère moderne, l’héritage philosophique de l’Église a continué à jouer un rôle important dans le développement de la théologie — dogme et morale. Ironiquement, certains auteurs prétendant proposer une vue plus « scientifique » de la théologie, accusent l’Église de ne s’être pas protégée de la philosophie grecque.

-2- Saint Thomas d’Aquin, s’appuyant en biologie presque exclusivement sur les idées d’Aristote, soutenait que le fœtus ne recevait son âme douée de raison que plusieurs semaines après la conception. Ce fut pendant des siècles une idée dominante dans l’Église Catholique comme pour nombre de chrétiens non catholiques. Mais alors que l’embryologie progressait dans la connaissance du développement humain, et que la biologie rejetait les idées d’Aristote, l’Église, sans pour autant rejeter la métaphysique de Thomas d’Aquin, adopta l’idée que l’être humain est doté d’une âme douée de raison dès la conception.

-3- Bien que la théorie de l’évolution de Darwin ait été largement acceptée par le monde académique, elle a été rejetée par certains mouvements religieux de par le monde, principalement parmi (pas tous) les fondamentalistes et les protestants évangéliques. Néanmoins, ce qui est frappant, la plupart du monde chrétien a adopté l’évolutionnisme, montrant son respect pour les découvertes des sciences naturelles, et invitant à la modestie philosophique et à la rigueur les matérialistes qui croient — par erreur — que l’évolutionisme est une défaite du déisme. (Le plus récent ouvrage d’Alvin Plantinga [NDT: philosophe chrétien américain, né en 1932] en est un exemple frappant.)

L’Église catholique a traité de la question évolution/création en établissant soigneusement des distinctions importantes entre science, métaphysique et herméneutique biblique. Plusieurs auteurs catholiques, profondément attachés à l’Église et à son enseignement, ont apporté des contributions de valeur à la compréhension des relations entre science et théologie, et expliqué pourquoi les théories de certaines idées répandues dans le monde chrétien — par exemple créationisme et conception intelligente — ne sauraient être des voies fructueuses.

D’autres, de diverses traditions chrétiennes, ont fourni des efforts semblables, bien que, en certaines occasions, faisant preuve d’un peu plus de penchant pour une conception intellectuelle ou au moins des idées théoriques ainsi soulevées (tout en participant à la critique).

Tout cela montre que les penseurs chrétiens — quelle que soit leur position sur l’intersection de la théologie et de la science — ont d’importants échanges entre eux et avec les critiques extérieurs à leurs communautés, précisément parce qu’ils ne sont pas persuadés que leurs convictions théologiques sont à l’abri des défis extérieurs susceptibles d’entraîner des progrès et une meilleure compréhension.

-4- Les rapports entre le christianisme, ses théologies morale et politique, et la notion de liberté religieuse ont nettement évolué au cours des temps. Comme feu le cardinal Avery Dulles, S.J. le remarquait: « La question de la liberté religieuse telle que posée de nos jours n’a émergé que depuis les Lumières. Au Moyen Âge, il ne fait aucun doute que l’Église a toléré ou autorisé des comportements qui nous heurtent maintenant comme incompatibles avec la liberté de religion… »

Le paysage culturel et politique évoluant dans l’Europe occidentale d’après la Réforme a fait appel aux chrétiens pour réviser leurs idées sur les relations entre l’Église et l’État. Mais les communautés protestantes et catholiques ne pouvaient s’offrir le luxe de simplement proclamer la liberté religieuse comme telle. Pour soutenir ce point de vue, il fallait être en harmonie avec les Écritures et (en ce qui concerne les catholiques) la Tradition (y-compris les positions prises précédemment par l’Église) et donc une évolution légitime de la doctrine.

Si la théologie est vraiment une tradition de la connaissance — et doit donc relever, et non pas ignorer, les sérieux défis intellectuels et culturels — les penseurs chrétiens devaient agir de cette manière. Ce qu’ils firent. L’Église catholique, par exemple, fonde sa défense de la liberté religieuse dans sa riche anthropologie théologique, reliant son évolution doctrinale aux principes posés par ses prédécesseurs, alors que d’autre chrétiens ont adopté une attitude différente.

Pour des érudits bien informés et consciencieux, croyants ou incroyants, il n’y a là rien de surprenant. Pourquoi donc tant de tensions de la part des autorités académiques? Après tout, s’il s’agissait de race, genre, orientation sexuelle, plutôt que de religion, ce serait vite liquidé comme de l’étroitesse d’esprit due à l’ignorance. Est-ce la réponse? S’il en est ainsi, « Tant qu’il fait jour il nous faut travailler aux œuvres de Celui qui m’a envoyé; la nuit vient.» (Jean, 9;4-5).

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Dieu, géomètre. (Frontispice d’une Bible moralisée, XIIIe s.)

  1. NDT: cet article s’oppose aux violentes attaques portées actuellement par l’administration Obama contre la liberté religieuse, particulièrement contre l’Église Catholique.