Foi, raison et hégémonie laïciste (suite) - France Catholique
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« Ô Marie conçue sans péché »
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Foi, raison et hégémonie laïciste (suite)

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Le mois dernier j’écrivais ici un article sur les juges et experts en Droit qui prétendent que les croyances religieuses sont irrationnelles. Je réfutais l’affirmation d’un théoricien du droit selon qui « La science laïque et le libéralisme politique, tous deux dévoués au primat de la raison, affirment qu’il est nécessairement impossible d’avoir une vérité incontestable.»

Je voudrais maintenant discuter un principe légèrement différent énoncé par un autre expert: « Les croyances religieuses, fondées sur la « foi », sont distinctes des principes ordinaires de preuve et de justification rationnelle, principes mis en œuvre à la fois pour le bon sens et pour la science.»

Bien qu’on puisse critiquer cette assertion de bien des façons, je souhaite en dégager un aspect particulier. Il semble que certaines idées se disant conformes à l’enseignement des sciences modernes sont non seulement incompatibles avec le sens commun — ainsi qu’aux principes habituels de preuve et d’explication rationnelle — mais en sont totalement éloignées.

Prenons pour exemple l’œuvre de penseurs tels que Paul Churchland 1], prétendant que la science moderne érige comme une vérité le matérialisme philosophique, et conclut donc qu’il n’y a aucune raison de croire à des réalités immatérielles. Churchland déclare:

« Un point fondamental de l’histoire de l’évolution réside dans le fait que l’espèce humaine et toutes ses caractéristiques sont le pur produit physique d’un processus purement physique… Si c’est la description exacte de nos origines, alors, il semble qu’il n’y ait nul besoin, nulle place, pour insérer dans notre évaluation personnelle théorique la moindre substance, la moindre propriété immatérielles. Nous sommes de la matière. Et il faut nous habituer à vivre avec cette constatation.»

Ceci semble évidemment incompatible avec le sens commun et nos principes habituels de justification par la preuve et la raison. Car pour Churchland ses affirmations ont pour but de signifier que son pouvoir de raisonnement lui permet de saisir les idées garantissant la validité de ses propositions.

Mais ces idées sont liées entre elles par la logique, et non par des liens spatiaux ou matériels, et la faculté de les saisir et de les présenter comme base de conclusion implique une intention, une pensée, un cadre (par exemple: « cette pensée concerne le matérialisme »), quelque chose qui n’a pas de structure physique.

C’est pourquoi Churchland maintient que l’intentionnalité ainsi que tous nos états mentaux n’existent littéralement pas. C’est pourquoi il désigne son principe par « matérialisme d’exclusion », car il élimine littéralement des réalités évidentes du domaine du réel.

L’explication de Churchland :

« Le matérialisme d’exclusion soutient que notre conception de sens commun des phénomènes psychologiques est une théorie radicalement fausse, une théorie si profondément erronée que ses principes et son ontologie finiront bousculés, plutôt que rectifiés, par la neuroscience intégrale. Notre compréhension mutuelle et même notre introspection peuvent alors être reconstitués dans la structure conceptuelle de la neuroscience intégrale, théorie qu’on peut penser considérablement bien plus puissante que la psychologie de sens commun qu’elle remplacera, et plus substantiellement intégrée à la science en tant que telle.»

Churchland nous dit aussi que « nous devrions apprendre à vivre » avec le matérialisme, sous-entendant que nous sommes dans l’erreur si nous ne nous y soumettons pas. Ce qui semble enraciné avec la notion plus primitive que nos facultés mentales sont orientées vers l’acquisition de la vérité, et donc qu’aller contre est agir contre notre propre bien.

Mais un tel jugement normatif — fondé sur les buts et le bien — implique une causalité finale qui, comme tous nos états d’esprit, ne se trouve nulle part dans le matérialisme de Churchland. Ainsi, malgré l’apparente incohérence avec le sens commun et les règles habituelles de preuve et de justification rationnelle, Churchland, comme beaucoup d’autres matérialistes philosophiques qui défendent des opinions similaires, n’a pas abandonné son matérialisme.

Faut-il en déduire que la posture imperturbable de Churchland signifie que le matérialisme philosophique, tout au moins sa version selon Churchland, est hors du sens commun et des règles ordinaires de preuve et de justification rationnelle? Ça dépend.

D’une part, si on considère la science moderne comme étant la mesure de la rationalité, et si on croit que la science moderne a besoin qu’on croie au matérialisme philosophique, et que le matérialisme philosophique n’a rien à voir avec le sens commun et les règles habituelles de preuve et de justification rationnelle, alors le sens commun et toutes les notions qui l’accompagnent peuvent ne pas être rationnels.

D’autre part, si on croit, de même que l’érudit cité ci-dessus semble croire, que le sens commun va d’un seul tenant avec les règles et méthodes de la science moderne ainsi que les règles ordinaires de preuve et de justification rationnelle, alors le matérialisme philosophique, tout au moins tel qu’énoncé par Churchland, pourrait bien n’être pas rationnel.

En conclusion nous dirons qu’il faut énoncer bien trop de considérations philosophiques avant de pouvoir suggérer avec aplomb qu’une déclaration, religieuse ou autre, ne relève pas du sens commun ni des règles ordinaires de preuve et de justification rationnelle. Ironiquement, en négligeant ces considérations, le laïc qui critique la foi prive sa position de la sorte de critiques qui soutiendraient son point de vue.


Tableau : Marée basse – Maurice Prendergast, vers 1897.

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Source : http://www.thecatholicthing.org/columns/2012/faith-reason-and-secular-hegemony-cont.html

  1. [NDT: Philosophe Canadien contemporain