On a pu lire dans de récentes déclarations du Père Bernard Besret que la foi ne devait plus être considérée comme une certitude acquise, mais plutôt comme une recherche toujours en éveil. Ceci est un thème qu’on rencontre fréquemment aujourd’hui, à travers ce qui se dit ou s’imprime, et pas seulement dans les secteurs les plus aventureux de l’Eglise. Il est permis cependant de se demander si ceux qui usent de telles formules se rendent toujours un compte exact du problème qu’ils soulèvent et de ses données.
A première vue, on a affaire ici à un paradoxe si outré qu’il peut paraître indéfendable. Qui dit « foi », dans quelque sens qu’on prenne le mot, suppose une ferme conviction, qui peut être mêlée de bien des obscurités, mais qui s’oppose à tout ce qui est doute. Mais que peut être une conviction dont on ne sait pas soi-même quel est le contenu ? Ce n’est pas seulement la fermeté qui lui manque : elle n’a plus de consistance. Comment pourrait-elle donc subsister… ou tout simplement exister ?
Cependant, si saine que soit la réaction que nous venons d’exprimer, devant de tels propos, on ne saurait s’en tenir là. Il faut voir et tâcher de comprendre comment on a pu en venir à une position qui semble si artificielle.
Ce qui est immuable
Ce n’est pas qu’hier les chrétiens aient été trop certains de leur foi. On ne l’est jamais trop. A dire vrai, ici, il n’y a pas de plus ou de moins : on est certain ou on ne l’est pas, et, où il n’y a pas de certitude, il ne saurait y avoir de foi. Mais c’est qu’on avait eu tendance dans le catholicisme, depuis le Renaissance et la Réforme, et plus encore depuis le modernisme, à étendre la certitude qui appartient à la foi bien au delà de son domaine.
C’était là une réaction de défense instinctive, explicable devant les attaques subies par la foi catholique, soit de la part du subjectivisme protestant, soit de la simple incrédulité moderne, soit d’une hyper-critique mettant tout en question. Mais, à se prolonger, à se systématiser, une telle attitude risquait de devenir plus insidieusement dangereuse pour la foi que toutes ces attaques du dehors.
En effet, il est très dangereux de transférer la certitude propre à la foi à toutes sortes d’opinions, voire de simples pratiques, dont nous sommes habitués à la voir entourée. Cela donne à première vue l’impression d’une sécurité accrue : protégée par un tel rempart de certitudes annexes, la certitude de la foi n’en deviendra-t-elle pas inexpugnable ? En fait, c’est exactement le contraire qui se produit. Une chaîne a toujours la force seulement du plus faible de ses maillons. Si l’on maintient mordicus qu’ils se valent tous, quand le plus faible aura craqué, tout le monde croira que la même chose pourrait arriver aussi bien aux autres.
Il était des gens, il en est encore, qui croyaient que six cierges allumés sur l’autel pour la grand-messe étaient aussi essentiels au catholicisme que croire en trois personnes divines. Quand on en est là, il est inévitable que le jour où l’on admet qu’on puisse se contenter de deux cierges on en vienne à douter de la Trinité. C’est exactement ce qui s’est produit. On avait voulu tout canoniser également dans la figure qu’avait prise le catholicisme d’une certaine époque, pour éviter qu’on y touchât à l’essentiel.
Quand il a bien fallu sortir de cet immobilisme, échapper à cette sclérose, les adaptations inévitables, positivement désirables même, dans ce qui est sa nature changeante, et d’ailleurs secondaire, ont fait croire que l’essentiel du christianisme pouvait, voire devait aussi bien se modifier… ou plutôt qu’il n’y avait rien, rien de définissable en tout cas, qui lui fût essentiel. Le résultat, nous le voyons : la foi en vient à être opposée à toute certitude, confondue avec une recherche sans fin. Alors, au lieu d’un catholicisme figé, durci dans une rigueur inhumaine et sans vie, on tombe dans un on-ne-sait quoi où tout va à vau l’eau.
La difficulté majeure, ici, cependant, c’est qu’il n’est pas si aisé de séparer, dans le catholicisme authentique, ce qui doit être l’objet d’une certitude immuable et ce qui doit rester en évolution, et donc en recherche. Il n’y a pas, en effet, d’un côté, des éléments matériellement immuables et, de l’autre, d’autres éléments qui peuvent changer à volonté, sans être soumis, dans leur changement lui-même, à aucune loi. Se représenter les choses ainsi n’est guère moins simplificateur ni moins dangereux que le fixisme abusif ou l’évolutionnisme chaotique.
Ce qui est l’objet d’une foi immuable, dans le christianisme, c’est le mystère de Dieu et de son dessein sur nous révélé en Jésus-Christ. Pas de foi chrétienne digne de ce nom qui n’accepte ce mystère avec une certitude définitive, s’étendant à tout ce qu’il implique. Sans doute, ce mystère est si riche qu’on ne peut en donner aucune définition qui en épuiserait le contenu. Mais on peut en exprimer l’essentiel, comme l’évangile le fait, d’une façon insurpassable, encore qu’au fur et à mesure des questions nouvelles que l’existence chrétienne dans le monde pose à propos de ce mystère, on n’en a jamais fini d’en développer tous les aspects, d’en tirer toutes les conséquences.
C’est ici, effectivement, que la foi, loin de mettre fin à toute recherche, anime et suscite une recherche sans fin. Mais celle-ci, toujours, doit se poursuivre à partir des certitudes de base que la parole de Dieu nous a imposées une foi pour toutes, et suivant la ligne des précisions successives que l’histoire de l’Eglise l’a amenée à fournir. Aussi bien l’histoire de l’Eglise, ni même de l’humanité entière, n’est-elle pas un chaos inorganique. C’est au contraire un développement continu, de sorte que les questions que nous posons aujourd’hui on été comme engendrées pas celles que l’on posait hier, et que les réponses, si nouvelles soient-elles, que nous avons à apporter aux problèmes nouveaux doivent elles-mêmes procéder des réponses aux questions antérieures.
C’est ainsi que certitude immuable et recherche toujours reprise, dans l’Eglise, loin de s’opposer, se commandent l’une l’autre. La vérité éternelle resterait stérile, dans nos intelligences et dans nos vies, si elle ne suscitait notre recherche jamais lasse. Mais celle-ci ne saurait aboutir si elle ne part pas de ces certitudes de fond qui ont été formulées dès le début du christianisme, ou si elle prétendait se détacher des lents, progressifs, continus cheminements de la pensée chrétienne, telle que la tradition authentique nous en retient les fruits.
Ajoutons-le : parce que les vérités chrétiennes sont des vérités de vie, elles ne se séparent jamais de la vie. Aussi n’est-ce pas seulement d’une adhésion inchangée aux formules de toujours que nous devons sans cesse repartir en quête. Il faut encore que nous nous mettions à l’école des saints, qui ont su en faire entrer le sens dans leur vie. Il faut que nous gardions fidèlement, à leur suite, les grandes réalités de vie qu’ils nous ont transmises, dont on peut dire qu’elles sont toutes prégnantes de doctrine, bien que leurs formes soient en constant renouvellement, mais dans une continuité de structure et dans la fidélité à un dynamisme originel faute de quoi l’identité du mystère du Christ vivant en nous se dissoudrait. Ainsi en est-il des sacrements du ministère apostolique, et avant tout de la célébration eucharistique.
Sentire cum Ecclesia
C’est ici peut-être qu’il se révèle le mieux comment la seule recherche susceptible d’aboutir suppose la plus profonde fidélité. Mais c’est dire une fidélité qui ne sera pas simplement verbale : une fidélité qui suppose une insertion, à la fois docile et suprêmement active, dans une tradition de vie qu’on ne transmettra jamais que si on l’a reçue dans une complète ouverture et complètement assimilée.
Nous saisissons ici l’importance du sentire cum ecclesia, de la communion des saints, mais aussi comment, loin de les freiner, loin de les réprimer, elle suscite toujours de nouvelles initiatives intensément personnelles certes. Mais la personne ne s’y définit pas dans quelque orgueilleux et stérile individualisme et moins encore dans une flexibilité perpétuelle « à tout vent de doctrine » mais dans le développement d’une relation vivante avec tout ce qui a jamais été et demeure à jamais, dans l’Eglise, de vivant avec le Christ, dans l’Esprit Saint, à la gloire du Père.
Louis BOUYER
Pour aller plus loin :
- Le défi du développement des peuples et le pacte de Marrakech - la fuite en avant des Nations Unies
- La France et le cœur de Jésus et Marie
- EXHORTATION APOSTOLIQUE POST-SYNODALE « AFRICAE MUNUS » DU PAPE BENOÎT XVI
- Discours final du Pape – Sommet sur la protection des mineurs
- Vladimir Ghika : le contexte politique avant la guerre de 1914-1918