Dans les quatre premiers siècles, le poisson et non la Croix
Qu’y a-t-il de plus représentatif du christianisme que la Croix ? Et pourtant, il a fallu quatre siècles aux chrétiens d’Occident pour oser la prendre pour emblème, huit pour qu’ils y fassent figurer le Christ, et douze pour représenter sa mort.
Dans les premiers siècles, l’emblème de la nouvelle foi était le poisson qui, en grec ancien, se dit ichtus – acrostiche de « Jésus, Fils de Dieu, Sauveur ». Le supplice de la croix était si cruel et infamant qu’il ne venait pas à l’esprit des premiers chrétiens d’en faire le symbole de leur religion – sauf en Égypte où les Romains n’ont pas pratiqué la crucifixion : la croix copte, première croix chrétienne au monde, existe dès le IIe siècle. C’est sous Constantin, autorisant le christianisme en 313, que la crucifixion disparut quasiment, avant d’être interdite par le Code de Théodose, empereur d’Orient, en 438. Il fallut donc du temps avant qu’on oublie l’horreur de ce supplice et que la Croix puisse devenir la fierté des chrétiens. La représentation de la Crucifixion sur le portail de la basilique Sainte-Sabine, édifiée à Rome en 422, relève bien de l’exception. Sculptée parmi d’autres scènes bibliques, c’est la plus ancienne que l’on connaisse en Occident.
Ve-VIIe siècles : la Croix glorieuse
À partir du Ve siècle, on adopte une Croix glorieuse, sans le Christ. Les plus anciens exemples sont les célèbres mosaïques de Ravenne, en Italie du Nord : la coupole du Mausolée de Galla Placidia (Ve siècle), l’abside de la basilique Sant’Apollinare in Classe et celle, plus petite, de la chapelle de l’Archevêché, du début du VIe siècle.
VIIIe-XIIe siècles : le Christ roman, en majesté sur la croix
Après plusieurs siècles montrant la Croix glorieuse sans le Christ, on se met, au VIIIe siècle, à représenter le Crucifié. À Rome, l’église Santa Maria Antiqua al Foro Romano a conservé ses fresques romano-byzantines de cette époque (voir FC n° 3780). Sur celle de la Crucifixion, le visage du Christ est figuré non à la façon romaine, cheveux courts et imberbe, mais à la manière byzantine et orientale, barbe et cheveux longs. Droit sur la Croix – et non tordu par la douleur comme on le représentera cinq siècles plus tard – il est vêtu du colobium, la longue robe du prêtre romain. Le porte-éponge est à droite avec le seau de vinaigre, le porte-lance à gauche. Sur la Croix est clouée la planchette appelée Titulus Crucis, « le Titre de la Croix », avec l’inscription « Jésus de Nazareth, roi des juifs » en trois langues. Cette planchette est conservée comme relique dans la basilique Santa Croce in Gerusalemme, à Rome.
À l’époque romane, le Christ en croix est représenté vivant, ne souffrant pas car Il est vainqueur du mal et de la mort, Dieu tout-puissant, le Tout-Autre : on montre la divinité du Christ plus que son humanité. C’est un art hiératique et solennel. Un de ces crucifix les plus connus est celui de la chapelle San Damiano à Assise, œuvre d’un artiste ombrien du XIIe siècle. Saint François fut interpellé par ce Christ en Croix, qui lui demanda de « rebâtir [son] église ».