Est-il possible d’échapper à la polémique dans le débat intellectuel ? Encore faut-il s’entendre sur le terme. Polémique renvoie au grec polemos, c’est-à-dire la guerre. Et la guerre suppose forcément la violence. Il s’agit de porter le maximum de coups à l’adversaire, des coups qui font mal et même peuvent tuer. Dans l’échange d’idées, analogiquement, on peut imaginer mettre KO l’adversaire, le mettre au tapis, l’écraser sous le poids des arguments qui l’ont laissé sans voix.
Cependant au Moyen Âge, avec la scholastique, on avait une toute autre conception de la vie intellectuelle. On parlait de disputatio, c’est-à-dire d’un échange d’idées que l’on pourrait appeler policé. La recherche de la vérité n’est pas exempte de la confrontation avec les objections qui permettent d’avancer en balisant le terrain. Qui a lu la Somme théologique de saint Thomas d’Aquin est familier de cette dialectique, où le penseur ne cesse de s’opposer à lui-même des arguments qui pourraient invalider la thèse qu’il défend. La dialectique à l’âge moderne est le plus souvent rapportée à la pensée de Hegel, avec l’opposition d’une thèse et d’une anti-thèse, qui permet d’accéder à une synthèse. Jean Guitton préférait parler d’une conciliation grâce à l’appréhension d’une vérité supérieure.
Je me suis laissé ainsi entraîner à des considérations un peu abstraites alors qu’au départ, dans ma tête, il s’agissait plutôt de traiter d’un sujet bien actuel à partir d’une tribune libre du Monde où le colloque de la Sorbonne contre le wokisme, dont j’ai parlé dans mes chroniques précédentes, était qualifié tout bonnement de « maccarthysme soft ». Le maccarthysme renvoie à une période d’intolérance, voire de persécution, au lendemain de la guerre aux États-Unis. J’espère, sans en être sûr, que le débat actuel s’orientera plus vers la disputatio que vers un maccarthysme réciproque.
Chronique diffusée sur Radio Notre-Dame le 13 janvier 2022.