Les apparitions de la Vierge Marie à trois enfants à Fátima en 1917 (la dernière ayant eu lieu en octobre de cette année-là – le plus grand miracle public de toute l’histoire – devant 70 000 observateurs) nous donne sans le moindre doute un extraordinaire exemple d’une intervention bienfaisante de Notre Dame dans le but d’avertir le monde de futurs dangers et nous offre de puissants moyens d’éviter les guerres et de réaliser la paix.
Mais une bonne interprétation de Fátima est de la plus haute importance.
Depuis plusieurs décennies, le père Nicholas Gruner, un prêtre canadien surnommé le prêtre de Fátima, et le Fátima Center qu’il a fondé proclament que tous les maux dont souffrent actuellement le monde et surtout l’Eglise pourraient être évités si la consécration de la Russie à la Vierge par le pape et tous les évêques, demandée par celle-ci dans une apparition à sœur Lucia le 10 décembre 1925, avait été correctement effectuée. A savoir, selon Gruner, qu’il fallait nommément désigner la Russie.
En décembre 1983, le pape Jean-Paul II consulta sœur Lucia, la seule « visionnaire » de Fatima encore en vie, sur la réalisation des souhaits de Notre Dame. Il envoya des lettres à tous les évêques du monde en les invitant à s’associer à lui pour la consécration de la Russie et du monde à la Vierge le 25 mars 1984. La consécration du monde eut effectivement lieu, et le pape ajouta diplomatiquement, compte tenu peut-être des menaces proférées par l’Union soviétique à l’encontre du mouvement Solidarność en Pologne : «Nous vous confions et consacrons tout spécialement les personnes et les nations qui ont particulièrement besoin d’être confiées et consacrées ».
Par la suite, sœur Lucia écrivit que le pape avait répondu aux demandes de Notre Dame ; et quelques années plus tard, le monde assistait à la chute du mur de Berlin et à l’effondrement de l’Union soviétique. Comme je l’ai écrit ailleurs, et dans un article complémentaire, la « conversion » promise de la Russie semble avoir commencé, avec la liberté religieuse, une prolifération massive d’églises, de monastères et de séminaires et une pratique religieuse presque comparable à celle du Portugal, pays où, comme Notre Dame l’avait promis à sœur Lucia, « la doctrine de la foi sera toujours préservée ».
Mais le père Gruner et ses collègues « fatimistes » soutiennent que la consécration doit être refaite en mentionnant nommément la Russie, et que les cinq minutes que prendront cette procédure entraîneront une conversion miraculeuse telle que le monde n’en a jamais vue. Gruner a même recommandé un roman, Russian Sunrise, dans lequel un avatar de Gruner, le père Nicholas Gottschalk, parvient à convaincre le pape de suivre son avis, ce qui déclenche des changements miraculeux en Russie.
Cette prétendue « conspiration du silence » du Vatican ne se termine pas là, car, selon les « fatimistes », dans le Troisième secret de Fatima, révélé par Jean-Paul II en 2000, il manque la deuxième partie pourtant essentielle. Quand elle révéla ce troisième secret en 1944 et l’envoya au Vatican en 1957, Sœur Lucia elle-même affirma qu’elle pouvait seulement donner des détails de la vision qu’elle avait eue, mais qu’elle n’avait pas le droit de révéler les explications de la Vierge qui lui avaient été communiquées.
Pourtant, les « fatimistes » ne veulent pas en rester là. Ils soupçonnent qu’il manque un texte secret exposant de manière apocalyptique « la vision dans laquelle la Vierge explique dans Ses propres termes qu’une crise de la foi et de la discipline à l’intérieur de l’Eglise s’accompagnera d’un châtiment frappant le monde entier ». Ou bien peut-être : « le texte secret présageait les changements qu’allait apporter le Concile Vatican II, surtout dans la liturgie et le dialogue œcuménique, en les considérant comme une partie de la « grande apostasie » que les dirigeants de l’Eglise refusent de reconnaître. »
Abstraction faite des théories du complot, nous devrions nous concentrer sur le message essentiel de Fátima. Lors des apparitions de mai et juin 1917, la Vierge a demandé aux trois enfants de réciter le rosaire chaque jour en priant pour la fin de la seconde guerre mondiale et la paix dans le monde. C’était sa principale demande. Le 10 décembre 1925, Notre Dame a également formulé une autre requête et promesse concernant les « Cinq premiers samedis » : « Je promets d’assister à l’heure de la mort avec toutes les grâces nécessaires au salut de leur âme, tous ceux qui, pendant cinq mois, le premier samedi, se confesseront, recevront la sainte communion, réciteront cinq dizaines du rosaire et me tiendront compagnie pendant quinze minutes en méditant sur les quinze mystères du rosaire, en esprit de réparation».
Pourquoi les « cinq » premiers samedis ? En réparation des cinq espèces de blasphèmes commis contre le Cœur Immaculé de Marie. Le 29 mai 1930, Notre Seigneur expliqua à sœur Lucia la nature de ces blasphèmes :
1. Contre l’Immaculée Conception. Bien que Martin Luther lui-même ait reconnu l’absence de péché de Marie tout au long de sa vie et probablement aussi son Immaculée Conception, les protestants en général la nient en l’absence de toute confirmation biblique explicite. De nombreux orthodoxes la mettent en doute, parce que cela impliquerait une purification de la tache originelle avant la venue du Rédempteur.
2. Contre la Virginité perpétuelle de Marie. Bien que Luther, Calvin et Zwingli aient affirmé la virginité perpétuelle de Marie, la plupart des protestants la nient, en estimant que les références dans l’Evangile aux « frères » et « sœurs » de Jésus désignent des frères utérins et non, comme c’est souvent le cas dans la Bible, des cousins ou d’autres consanguins. Comme si, après avoir donné naissance au Fils de Dieu, Marie aurait pu souhaiter avoir d’autres enfants ! Ou comme si, Marie ayant eu d’autres enfants, il ne s’en serait pas trouvé un seul prêt à prendre soin d’elle après la Crucifixion ; Saint Jean étant apparemment la seule personne disponible.
3. Contre Sa maternité divine, en refusant de la reconnaître comme Mère des hommes. Bien que Luther, Calvin et Zwingli aient découragé la vénération des saints, ils ont fait une exception pour la Vierge Marie. Les orthodoxes, eux aussi, ont toujours révéré la Theotokos (Mère de Dieu). Mais, à l’heure actuelle, de nombreux protestants ignorent Marie et son pouvoir d’intercession ; et même de nombreux fervents fondamentalistes dévoués à la Bible sont hostiles à cette idée, en considérant que le culte de Marie peut porter atteinte au culte du Christ.
4. Contre les offenses de ceux qui cherchent publiquement à répandre dans le cœur des enfants l’indifférence ou le mépris et même la haine à l’égard de cette Mère Immaculée. Il est triste de voir l’attitude de certains protestants qui pensent rendre service à Dieu en inculquant de l’hostilité à l’égard de Marie à leurs enfants ; et plus triste encore de penser aux catholiques progressistes ou féministes qui redoutent que le culte de Marie ne donne à leurs enfants des concepts inacceptables de la féminité.
5. Contre les offenses de ceux qui l’outragent directement dans ses saintes images. Nous avons eu connaissance de nombreux incidents de ce type au cours de ces dernières années : l’un des tableaux d’une exposition de 1999 au Brooklyn Museum, « Sensation », figurait la Vierge Marie couverte d’excréments d’éléphant ; en 2011, des Néo-Zélandais ont représenté sur un panneau d’affichage la Vierge tenant d’une main un test de grossesse et couvrant de l’autre sa bouche dans un geste de surprise ; à Belfast, en 2012, des protestants ont placé une statue de la Vierge au-dessus de leur feu de joie pour la célébration de la fête de Shankir ; en 2014, Daech a détruit la statue de Marie dans l’église de la Vierge Marie à Mosul et fait sauter cette église ; à Pérouse, en janvier de cette année, cinq musulmans ont détruit la statue de Marie dans la chapelle de Saint Barnabé et uriné sur elle. Ces incidents deviennent de plus en plus fréquents avec la destruction des églises catholiques au Moyen-Orient.
Lors de la messe du premier samedi de ce mois, j’ai été frappé par le petit nombre des fidèles, en dehors des paroissiens habituels de la messe quotidienne. Les catholiques désireux de répondre à la demande de réparation pour les multiples outrages infligés à la Vierge Marie sont-ils si peu nombreux ? Accomplissent-ils même une fois le rituel des cinq premiers samedis afin de bénéficier des grâces extraordinaires promises par Marie ? Combien de catholiques récitent quotidiennement le chapelet – ce qui était la première et sûrement la plus importante et la plus simple requête de Notre Dame de Fátima ?
Aujourd’hui, le ciel nous presse instamment de faire « réparation » pour les offenses infligées au Cœur Immaculé de Marie. Notre Seigneur, dans son corps glorifié, ressent sans aucun doute des émotions physiques. Le récent commentaire du pape François concernant la réaction naturelle d’un homme en entendant insulter sa mère pourrait constituer une analogie appropriée.
Mais les « fatimistes » pensent-ils vraiment que, si le pape refait « la consécration de la Russie » en cinq minutes, des conversions miraculeuses se produiront tout d’un coup parmi les foules de chrétiens – qui pratiquent la contraception comme les païens, recommandant la sodomie et profanent le mariage ?
Allons donc ! L’Union soviétique ne persécute plus les chrétiens et ne s’emploie plus à « propager ses erreurs dans l’ensemble du monde ». Ce sont les islamistes qui oeuvrent dans ce sens. Notre Dame n’a pas divulgué de secrets à propos de l’islam à Fátima. Et des « secrets » spéciaux ne sont nullement nécessaires pour ceux d’entre nous qui suivent les nouvelles internationales, même de façon intermittente. Les crises spirituelles sont évidentes. Mais la solution essentielle proposée par Marie à Fátima est toujours très pertinente. Si vous pensez que le monde va rapidement et définitivement à sa perte, il est temps de commencer à obéir aux simples et indispensables requêtes de Notre Dame – le chapelet quotidien et les cinq premiers samedis.
Samedi 28 février 2015
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Photographie : Foule assistant au « miracle du soleil » à Fátima le 13 octobre 1917
Source : http://www.thecatholicthing.org/2015/02/28/fatima-vs-conspiracy-theories/
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Howard Kainz est professeur émérite de philosophie à l’Université Marquette. Ses publications les plus récentes sont les suivantes : Natural Law : an Introduction and Reexamination (2004), Five Metaphysical Paradoxes (The 2006 Marquette Aquinas Lecture), The Philosophy of Human Nature (2008) et The Existence of God and the Faith-Instinct (2010).