Avec Nabucco, La Traviata, Aïda et la dernière de ses œuvres, Otello, Verdi (1813–1901) s’est hissé au firmament de l’art lyrique pour devenir le maître du discours musical continu si propice à la dramatisation de l’expression vocale. Dès lors, couronné de tant de lauriers, quelle mouche le pique de vouloir écrire à 80 ans un opéra bouffe ? Cette « mouche », c’est son librettiste, Arrigo Boito qui lui propose un mix shakespearien centré sur l’énorme Falstaff conjoint à Henri IV et aux Joyeuses commères de Windsor. Monté le 9 février 1893 à la Scala de Milan, l’œuvre fait un triomphe, posant les jalons de la comédie moderne telle que Richard Strauss saura l’exploiter par la suite.
Sur le mode du « Tel est pris qui croyait prendre » propre aux pantalonnades de la commedia dell’arte, Falstaff conte la descente aux enfers du ridicule d’un lord déchu devenu le jouet de la vindicte de toute la ville qu’il prétendait duper. La mise en scène de Dominique Pitoiset, faisant fi du cadre élisabéthain originel, situe l’action à la Belle Époque dans une petite ville bourgeoise des bords de la Tamise. Falstaff vit de grivèleries, d’escroqueries diverses et surtout de subornation de riches épouses qu’il qualifie de « greniers d’abondance ». Aussi balourd que corpulent, il ourdit une intrigue si mal ficelée qu’elle lui sera un piège fatal : il envoie le même billet doux à deux épouses convoitées, qui, étant amies, vont s’unir pour corriger le galant sans scrupule. C’est Mrs Alice Ford qui prend la direction des opérations aidée par Mrs Meg Page et Mrs Quickly (la sublime Marie-Nicole Lemieux). Elles se liguent à la fois pour perdre Falstaff et favoriser les amours contrariées de Nannetta que son père — de surcroît le mari jaloux — veut marier à un vieux barbon, faisant ainsi « d’une pierre, deux coups » ! Cependant, il ne leur suffit pas de précipiter la vaniteuse baudruche dans la Tamise par le truchement d’un panier de linge sale dans lequel il s’est caché, le vouant ainsi à la noyade. Il faut encore, puisqu’il a l’outrecuidance d’en réchapper, lui faire jouer à son insu le rôle d’Actéon, transformé en cerf et dévoré par les chiens pour avoir surpris Diane au bain ! Convié à un sabbat de sorcières, Falstaff qui croit enfin obtenir les faveurs d’Alice, subira le plus cruel des hallalis, véritable « bouc-émicerf » grâce auquel toute la ville ressoudera son improbable cohésion.
L’art de Verdi, servi par d’admirables voix, des décors astucieux et de beaux costumes ne parvient pas cependant à faire oublier certaines paresses d’une mise en scène qui aurait dû clairement opter pour un parti pris de second degré étant donné le caractère politiquement incorrect du propos. à l’heure où l’on pourfend avec véhémence toutes les discriminations, faire de la gigantesque bedaine de l’immense Falstaff l’unique objet de l’unanime exécration est quasi inaudible ! Il est obèse : voilà la faute de « ce pelé, ce galeux d’où venait tout le mal. »
Après Le Nain d’Alexander Von Zemlinsky produit récemment à Garnier, lui aussi « dévoué » à cause de sa laideur, Falstaff, soumis au Jugement Dernier en raison de son « immense incarnation », on peut s’interroger sur le bien-fondé du choix de telles œuvres. « Tout est farce », certes, comme Falstaff le chante au tomber de rideau. Mais malheur au dindon pour qui la farce est faite !
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