J’ai déjà signalé l’essai très important de Pierre Manent intitulé Situation de la France (Desclée De Brouwer). De son côté, Alain Finkielkraut publie un ouvrage La seule exactitude (Stock), un titre qui renvoie à une citation de Charles Péguy. Le Figaro a eu l’excellente idée d’organiser une rencontre entre les deux écrivains, qui tourne surtout – on ne s’en étonne pas – autour de l’islam. Mais je voudrais retenir leur conclusion qui touche à l’importance de l’héritage chrétien pour notre pays et pour l’Europe. Le catholique Manent et l’agnostique Finkielkraut se retrouvent d’accord à ce propos : « Nous sommes, dit le premier, le produit, décevant mais reconnaissable, d’une éducation longue et complexe dont le christianisme fait essentiellement partie. » Et d’ajouter : « La question de la place du christianisme dans notre société est devant nous. La religion chrétienne nous échappe ou nous lui échappons, mais elle reste présente à l’état de question parmi nous. »
Alain Finkielkraut non seulement ne dément pas mais confirme : « Le christianisme fait partie de notre patrimoine et ce “nous” englobe tous les Français, même ceux qui ne sont pas chrétiens, les juifs bien sûr et évidemment les musulmans. » Cependant, la question qui se pose alors est celle du sens de cet héritage et comment il se traduit aujourd’hui dans notre vie sociale. Dans son essai, Pierre Manent estime que le catholicisme qui, au-delà de la sécularisation, marque encore profondément notre pays se doit d’intervenir directement dans le dialogue avec l’islam, pour permettre aux musulmans de trouver leur place chez nous. L’agnosticisme de son interlocuteur dessine alors une différence importante, car Alain Finkielkraut est d’avis que l’Europe est existentiellement sortie de la religion, principalement en raison du déclin de la foi en la vie éternelle. Et ce serait là notre grand décalage par rapport à l’islam. Voilà qui mériterait une discussion très approfondie, car la révolte islamique contre l’impiété occidentale pourrait trouver argument dans cette dénégation radicale. Et puis, ce sont bien les Lumières qui sont en cause avec une certaine conception de l’homme athée et enfermé dans l’opacité de la nature. Mais alors, la résistance victorieuse d’un christianisme toujours renaissant ne serait-elle pas un démenti au procès fait à l’Occident ? Non, l’héritage n’est pas seulement inscrit dans un patrimoine culturel, il s’exprime dans une foi vivante.
Chronique diffusée sur Radio Notre-Dame le 15 octobre 2015.
Pour aller plus loin :
- Le défi du développement des peuples et le pacte de Marrakech - la fuite en avant des Nations Unies
- Malentendu islamo-chrétien ou malentendu entre chrétiens sur l'islam ?
- Vladimir Ghika : le contexte politique avant la guerre de 1914-1918
- SYRIE : ENTRE CONFLITS ARMES ET DIALOGUE INTERNE
- LA « MODERNITÉ » : UN CENTENAIRE OUBLIÉ