Fabiola, Reine-Lumière - France Catholique
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Le martyre des carmélites
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Fabiola, Reine-Lumière

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Ce 5 décembre, premier vendredi du mois, à l’heure du Cœur transpercé de Jésus, Fabiola la tant-aimée de son peuple, s’est élancée pour rejoindre son Époux aux Noces royales du Ciel. Juste 54 ans après son mariage avec Baudouin (le 15 décembre 1960), quand la Belgique enthousiasmée l’accueillait comme sa reine, inaugurant de manière nuptiale un règne sans faille de 33 années-lumière.

Baudouin découvre cette ardente jeune Espagnole pour la première fois à la Grotte de Lourdes et c’est là qu’ils vivront leur premier éblouissement mutuel sous le Regard de la Reine du Ciel. Elle lui communique son fantastique enthousiasme, sa vivacité, sa spontanéité, sa fraîcheur, sa gaieté naturelle. L’extraordinaire complicité d’âme, de cœur avec elle, a touché profondément le cœur des Belges. Cette bouleversante tendresse entre eux non seulement ne s’est jamais démentie, mais n’a jamais cessé de s’intensifier, en crescendo.
Ils n’ont jamais eu honte de la laisser paraître en public — parfois en pleine réception ou cérémonie officielle : échange d’un regard, d’un mot, main du roi sur les épaules ou le genou de la reine, sourires complices. Je connais des couples qui y ont puisé la force de continuer ensemble, de s’aimer davantage, parfois de retrouver la fraîcheur d’un premier amour. Leur ressembler, quoi ! Avec la grâce de Dieu ! Et cela s’est avéré possible !

Le Roi ne disait-il pas : « Celui qui veut l’unité dans son pays doit s’exercer à la faire dans son foyer et sa famille. En effet, les deux maisons sont construites avec le même ciment, celui de l’amour. » C’était du vécu au quotidien.
Elle sera pour lui une source intarissable de bonheur. Il faut ici laisser la parole à Baudouin lui-même, avec la simplicité d’un cœur d’enfant : « Pourquoi Seigneur, as-tu bougé le Ciel et la terre pour me donner cette perle précieuse qu’est ma Fabiola ?

Elle a une manière d’être avec les gens qui est idéale. Elle est tellement attentive, tellement toute aux autres, que je comprends qu’on l’adore. Seigneur, merci. […] Remplis Fabiola de ta sainteté. Qu’elle vive de ta joie et de ta paix. Apprends-moi à l’aimer avec ta tendresse.[…] Jésus, je te remercie d’avoir fait grandir en moi un immense amour pour ma femme. Je Te remercie de m’avoir donné une épouse qui m’aime après Toi par-dessus tout. Que nous croissions en Toi Seigneur. 1»

Le cardinal Suenens raconte qu’accompagnant le Roi lors d’une réception officielle, curieusement, la foule se mit à scander : « Vive… La Reine ! », alors qu’elle n’était pas là. Il lui demande : « Sire, cela ne vous étonne donc pas ? » Réponse : « Mon peuple connaît bien mon cœur. »

En vérité, elle a détecté, tel un sourcier, révélé puis protégé, tout ce que ce souverain intronisé à 20 ans, (dix ans avant son mariage), portait en lui de plus grand, de plus profond, de plus fort. (Telle, ève tirée d’une côte, car la cage thoracique protège ces organes vitaux que sont le cœur et les poumons). Grâce à elle, il est né au meilleur de lui-même.

Ils vont régner l’un avec l’autre, l’un par l’autre, comme tentent de le faire aujourd’hui le roi Philippe et la reine Mathilde, qui en font leurs modèles.
Leur plus lourde croix : après plusieurs espoirs, ils n’ont pas d’enfants. Épreuve d’autant plus humiliante qu’un roi est censé assurer sa succession. Ils vont admirablement vivre cette souffrance, d’autant plus donnés à tous, aimant tous les enfants un peu comme les leurs. « Nous nous sommes interrogés sur le sens de cette souffrance : peu à peu nous avons compris que notre cœur était plus libre pour aimer tous les enfants, absolument tous les enfants. 2»

Plus profond que tout, c’est la souffrance des autres qui affecte le plus intensément Fabiola. Pas une douleur qui ne se répercute en elle. Pas un cri qui ne résonne en son cœur. Est-ce une vie à ce point marquée par la Croix qui fait d’elle une telle consolatrice ? Sa passion la remplit de compassion.

La voilà si souvent au chevet des malades, opérés, agonisants, les visitant dans cliniques ou hôpitaux, ou chez eux, passant des heures au téléphone pour consoler, réconforter, apaiser. Allant jusqu’à embrasser les malades du Sida, à une époque où la peur de la contagion paralysait les gestes d’affection. « On le voyait parfois avec la Reine, flâner en compagnie des gens simples et des enfants, penchant la tête et l’oreille, et par son sourire, il accueillait les confidences et il les gardait dans son cœur, comme la Vierge Marie » (cardinal Daneels). Elle est passionnée par les jeunes. Pour les vingt ans du Parlement européen, Baudouin se fait leur ardent défenseur : « C’est en privilégiant la jeunesse, en lui demandant beaucoup, spirituellement, moralement, que l’Europe ira dans le sens de la vie. Le renouvellement suffisant des générations et l’enthousiasme de la jeunesse sont aussi tributaires d’une autre fécondité : celle qui procure l’harmonie et la stabilité des foyers où naissent les jeunes vies. La jeunesse a le sentiment d’une exclusion sociale, et d’être enfermée dans des sociétés trop étroites. Ouvrez-lui les portes ! Élargissez vos horizons ! »

Et de poursuivre prophétiquement : « Autrefois, la guerre menaçait nos pays et nos foyers. Aujourd’hui, elle menace nos esprits et nos cœurs. L’ancien impérialisme visait à conquérir des territoires. Le nouveau cherche à dominer les intelligences. La jeunesse est la première victime de la guerre, le premier fruit de la paix. Il faut vingt ans de paix pour faire un homme, il suffit de vingt secondes de guerre pour le détruire. »

Comment ne pas sentir l’influence de Fabiola dans ces splendides textes du Roi, surtout ce qui touche à la famille ? Comme pour les jeunes, il s’en fait l’avocat devant les instances mondiales.

À l’ONU pour la Conférence internationale sur l’enfance. 29 sept 1990 : « Beaucoup de carences et de maladies dont souffrent les enfants dans notre société, beaucoup de comportements qui les marginalisent, trouvent leur origine dans le relâchement des liens de la famille. Cette dernière doit être — à mon sens — foyer de compréhension et d’écoute, de soutien mutuel et de solidarité, d’ouverture et de tendresse. Une telle famille est évidemment une source de rayonnement. Elle n’est pas fermée sur elle-même, mais rend ses membres plus aptes à aider les autres, particulièrement ceux que la vie n’a pas épargnés. Prenons-nous encore le temps d’écouter l’enfant et de percevoir ses besoins fondamentaux. Lui laissons-nous l’espace nécessaire dans nos cités dangereuses et nos habitations inappropriées ? Lui assurons-nous, dans un monde de plus en plus complexe et contradictoire, une autorité ferme et compréhensive, respectueuse des initiatives que lui inspirent son souci de justice, et sa soif de jeu, de joie et de beauté ? Lui donnons-nous, surtout, la sécurité affective indispensable à son épanouissement comme aussi à l’harmonie du foyer qu’il pourra créer plus tard.

Oui, ils savent que trop d’enfants et de jeunes ont été blessés, traumatisés, parfois par une famille désunie. Dans son message de Noël 1987, il donne les moyens thérapeutiques simples pour la guérison des familles guettées par le naufrage : « La paix n’est pas seulement affaire de gouvernement. Elle se construit dans l’âme des peuples quand les hommes et les femmes de ces peuples ont confiance les uns dans les autres. La paix familiale n’est jamais un bien acquis définitivement. Elle se construit chaque jour entre conjoints, par le dialogue, la confiance, le respect réciproque, la réconciliation. C’est dans un tel climat que dès le plus jeune âge, les enfants peuvent faire l’apprentissage de la paix. Dans un monde souvent violent, ils pourront à leur tour devenir des artisans de paix. Une telle famille est source de rayonnement ! »

Du même coup, ils font le lien entre la dimension internationale et familiale de la paix : ils savent que les frustrations d’amour n’ont souvent d’autre cri que le défoulement dans la violence. Alors que les enfants heureux sont les meilleurs constructeurs d’une civilisation de l’Amour.

Au Parlement européen : « Peut-être attendez-vous d’un des chefs d’État qu’il place l’harmonie familiale parmi les biens nécessaires à l’enfant et à l’adolescent ? Oui, je le fais avec une intense conviction, à un moment où, en Europe, les liens matrimoniaux sont souvent mis en question par une fausse conception de la liberté. L’origine de nombreuses maladies de notre monde actuel se trouve dans l’absence d’un foyer chaleureux. En matière de démographie, les conséquences des comportements actuels vont bien au-delà du présent, car la marque en est aussitôt imprimée de manière indélébile pour près d’un siècle. » Prophétique ! Tous deux s’étaient lancés passionnément dans la lutte acharnée contre le commerce sexuel internationnal, y prenant beaucoup de risques.

Lors des obsèques du Roi, elle fera témoigner la jeune Luz, rescapée de la prostitution faisant pleurer chefs d’État et princes royaux. Personne n’a oublié cette reine tout de blanc vêtue pour les funérailles de son époux, au cœur de la Famille royale, se donnant la main lors du Pater, signe de Résurrection.
Merci, Reine Fabiola, d’avoir choisi comme titre : « Célébration de gloire et d’espérance », et le « Jesus meine Freude », (Ma joie, qu’elle demeure). Oui, qu’elle demeure aujourd’hui en nous, cette joie du cœur qui a fini par illuminer ton regard, ton visage, ton existence, ton peuple.

Depuis ce départ si brutal de son roi, en 1993, elle vivra pendant 21 ans, discrète, dans sa demeure de Stuyenberg, jouxtant la résidence du roi Albert, de la reine Paola et de son neveu Philippe. Toujours aussi rayonnante, effacée mais aussi aimée, admirée, sollicitée, répondant à de nombreuses invitations d’inaugurations d’œuvres caritatives, musicales, scolaires, continuant à se dépenser sans compter pour répondre aux nombreux SOS lancés vers son cœur, plus grand que le monde, à veiller sur les différentes fondations dont elle était présidente 3. Travaillant sans relâche à mettre en ordre les écrits de son Époux. Bref, lucide, hyperactive, généreuse jusqu’au bout. Rien n’arrête son ardeur.

Nous entendions, au début, Bau­douin lui-même, nous confier ce qu’était Fabiola pour lui. Terminons, en l’écoutant, elle, s’émerveiller de son royal époux, à l’occasion du dixième anniversaire de sa Pâque, en 2003. Elle écrit une lettre-testament : « Le Roi Baudouin que j’aime tant a tracé un sillon qui ne s’effacera jamais. Cet anniversaire m’incite à exprimer le bonheur que j’ai connu à ses côtés et qui se poursuit, car plus le temps s’écoule et plus il me fait vivre. Il m’aide à porter les soucis et les souffrances que nous connaissons tous.

Beaucoup ne pouvaient pas connaître sa vraie nature et sans soute est-ce dû pour une part à la discrétion qu’il cultivait. Étant sa femme, je crois avoir pu mieux que quiconque apprécier ses qualités. Je l’ai regardé intensément à chaque moment, car on ne se lasse jamais de contempler celui qu’on aime.
Son amour inépuisable coulait de source et engendrait le bonheur autour de lui et en lui-même. Mon mari m’a fait boire à cette source et elle continue à désaltérer chaque heure de ma vie. Son rire, prêt à bondir, se changeait à tout moment en un sourire qu’il partageait sans jamais se lasser ni nous lasser.

Mais Baudouin, comme tout homme, a vécu des moments difficiles. Un roi n’est pas épargné. Au moment de succéder à son père, il s’est senti désemparé par la responsabilité. Il aimait beaucoup son père et se savait peu préparé à cette lourde tâche. Il disait : « Je ne reçois pas ma force pour demain mais seulement pour maintenant. Je dois apprendre à vivre le moment présent. »

Il prenait soin de faire le vide en lui-même pour se mettre à la place de l’autre. Son esprit lucide et son silence aimant accueillaient les démunis et les blessés de la vie, comme tous ceux qui voulaient lui confier leurs peines. Il disait : « Dans la rencontre, c’est mon cœur qui me suggère les mots, les mots de silence. »

Cette ouverture d’esprit et de cœur, toute naturelle en lui, fut la clé de son émerveillement inépuisable, qui lui révélait les vraies valeurs de la vie et leur beauté. Il a conservé intacte la fraîcheur candide de l’enfant, qui est l’antidote de l’orgueil. Les remarques des autres à son sujet le conduisaient à une autocritique constructive qui développait en lui l’humilité. À son décès, une adolescente s’est exclamée : « Il n’avait pas l’amour du pouvoir, mais le pouvoir de l’amour. »

Quarante années de métier avec d’innombrables contacts humains, ont donné au roi Baudouin une compréhension et une sagesse qui lui faisaient mettre en valeur ses interlocuteurs. Sagesse et savoir ne se confondaient pas dans son esprit : la sagesse est appelée à croître et le savoir, à être au service de celle-ci. Toutes ces qualités ont fait de lui, à mes yeux, un homme vraiment universel. De jour en jour, grâce à lui, j’apprends encore la valeur de la patience et combien chaque personne est un cadeau qu’on doit essayer d’aimer toujours plus. Pour toutes ces raisons, je tiens à rendre hommage à mon bien-aimé qui reste pour moi un don unique, aujourd’hui, demain et pour l’Éternité. » Celui qu’elle vient de rejoindre dans l’amour d’éternité. Passionnée par la vie à défendre à tout prix, par l’enfant à protéger au prix de la sienne, voilà qu’elle est enciélée ce 12 décembre en la fête de Notre Dame de Guadalupe, proclamée par Jean-Paul II, mère de la Vie.

Un mot revenait sou­vent sur ses lèvres, en parlant de notre Pâques finale : « Il faut travailler à quitter cette terre achevé », en laissant l’Artiste divin achever son œuvre jus­­qu’au bout.

Oui, pour un tel chef-d’œuvre de la nature et de la Grâce, de la nature transfigurée dès ici-bas par la Grâce, comment ne pas en rendre grâce ? ■

http://www.rtbf.be/livecenter/live_edition-speciale-funerailles-de-la-reine-fabiola?id=26449

  1. Card. Suenens, Le Roi Baudouin, une vie qui nous parle, pp 22 sqq.
  2. « Elle transforma cette épreuve en une forme d’amour différente. Elle voulut se faire aimer de tous ses compatriotes et particulièrement de ceux que la vie avait blessé. » (Communiqué des évêques de Belgique, 8 décembre 2014).
  3. Comme la Fondation Roi Baudouin, pour promouvoir l’aide aux nécessiteux. Différentes institutions pour enfants handicapés, pour la prévention de la dyslexie… En 1994, elle ira même à Pékin, au Congrès international sur la femme (qui va universaliser les gender studies) au titre de présidente des femmes du Tiers-Monde et du monde agricole.