Un lycéen me confiait l’autre jour qu’il n’allait pas à la messe le dimanche. J’essayais de le faire réfléchir en lui demandant d’abord pourquoi il allait au lycée chaque jour. « Parce que si je n’y vais pas, répondit-il, j’aurai des ennuis. Mais si je manque la Messe, rien ne se passe. J’ai tout ce que je veux en ce moment, donc pourquoi devrais-je me soucier d’aller à l’église ? »
Son point de vue est probablement partagé par un nombre croissant d’Américains qui se disent athées, agnostiques ou sans religion. Ils se satisfont de l’immanence dans le moment immanent. Ils ne sentent pas le besoin de Dieu ou d’une signification transcendante à leur existence. Ils vivent donc dans l’irréligion, ne se souciant que de ce monde. Cette attitude a conduit à former une culture qui est fondamentalement agnostique. Comme pour ce lycéen, Dieu et la religion n’apparaissent tout simplement pas sur le radar culturel de la société en général. Pour ces personnes, il y a des choses bien plus urgentes, plus immédiates, dont il faut se soucier.
Comment la nouvelle évangélisation peut-elle donc ouvrir à Dieu l’irréligieux heureux et satisfait de son sort ? Au XIXème siècle, des arguments rationnels étaient souvent avancés pour convaincre ceux qui doutaient du besoin de croire. Mais maintenant que la morale et la religion sont prisonnières de la dictature du relativisme, ce type d’argument est au mieux écarté, et au pire ignoré.
Au XXème siècle, des penseurs comme Maurice Blondel et les Thomistes Transcendantaux lancèrent un appel existentiel aux profondeurs de l’être humain, nous invitant à voir en Dieu la réponse ultime aux désirs du cœur humain. Ce fut l’approche préférée de Jean-Paul II et de Benoît XVI, qui nous ont régulièrement mis au défi d’écouter la voix de Dieu en notre âme.
Cet appel existentiel est plus difficile aujourd’hui, car notre culture agnostique inclut un certain découragement face à la recherche du sens. La réalité ne semble plus dépasser l’estomac, le chéquier ou le smartphone, et la présence constante de distractions électroniques rend l’introspection aussi difficile qu’un voyage au centre de la terre. Ce qui est tangible et naturel compte ; ce qui est invisible et surnaturel n’est pas pertinent.
Dans ces conditions, comment faire de la réalité invisible de Dieu une réalité pour l’irréligieux satisfait de son sort ? Il n’y a pas de réponse unique. La Foi est par essence « une ferme assurance des choses qu’on espère, une conviction de celles qu’on ne voit pas. » (Hébreux XI,1), et par là contraire aux exigences de notre époque. La Foi, puisqu’elle désire la transcendance, n’a à première vue rien à offrir ici et maintenant à l’irréligieux satisfait, et les efforts pour faire rentrer la foi dans un cadre de pertinence du monde semblent seulement rendre la religion superficielle.
Les expériences liturgiques qui tentaient de rendre la Messe plus parlante aux jeunes gens sont un exemple particulièrement malheureux de cette mauvaise approche. La Foi se transforme alors en ce que le Cardinal Joseph Ratzinger appelait « une distraction religieuse » dont l’attrait disparaît vite. Elle n’est pas au niveau de la concurrence sur le marché des loisirs, un marché qui inclut de plus en plus de formes variées de « titillation religieuse ». La Foi réduite aux soucis et aux rythmes du monde n’est plus du tout la foi.
Dans un discours sur l’évangélisation à la Conférence épiscopale romaine, Benoît XVI a proposé des étapes pour la nouvelle évangélisation : des croyants qui vivent leur foi au plus profond de leur cœur, la proclamation de Dieu présent et proche de nous par l’incarnation de Jésus Christ, des parents qui élèvent leurs enfants dans la foi, le soutien communautaire par l’Eglise, une catéchèse créative qui étend la vie sacramentelle au-delà des murs des églises, réserver du temps au silence et à l’intériorité, utiliser la beauté dans l’art et l’architecture pour inspirer la foi.
Au minimum, ces initiatives montreront à l’irréligieux que les croyants sont eux-aussi satisfaits – et ce terme est trop faible –, remplis d’une joie qui n’est pas sous leur contrôle et qui est hors de portée de l’imagination de l’irréligieux.
En effet, ce n’est pas une stratégie très efficace pour les croyants de dire à l’irréligieux satisfait qu’en réalité il est insatisfait, mais qu’il n’en est pas conscient. Il est bien plus efficace de se servir de la nature instable de la satisfaction humaine, et de sa tendance subséquente de toujours en vouloir plus, même quand nous sommes déjà satisfaits. Ce type de théisme existentiel remonte à St Augustin : « Tu nous as fait pour Toi, ô Seigneur, et nos cœurs sont sans repos tant qu’ils ne reposent en Toi. »
Les croyants connaissent bien l’assertion qui dit qu’il ne sert à rien à un homme de gagner le monde entier s’il perd son âme. Cela ne signifie pas grand-chose pour l’irréligieux, qui ne reconnaît que le matériel. Mais s’il se rend compte que les racines mêmes de sa satisfaction personnelle se situent au-delà du visible – la satisfaction de l’amour, de l’amitié, de l’estime des autres, de la sécurité, et même le contentement qu’il ressent en se relaxant sur un sofa – alors il sera capable d’apercevoir la source invisible de ces réalités invisibles.
L’introspection est un élément nécessaire de la nouvelle évangélisation, même s’il s’agit d’une denrée assez rare de nos jours. D’une certaine façon, un certain jour, la vision de l’irréligieux doit se porter plus loin que lui-même pour qu’il réalise qu’il y a plus que ce qu’il semble à première vue. Nous n’avons pas à notre disposition de baguette magique pour cela. Nous devons commencer par les étapes que Benoît XVI a proposées, mais tout en gardant confiance dans le fait que, puisque le désir de Dieu est inscrit dans le cœur de chaque être humain, à un moment ou un autre l’irréligieux peut réaliser qu’il y a une plus grande satisfaction qui transcende le monde – et qui invite chacun à Sa compagnie.
David G. Bonagura Jr. est professeur adjoint de théologie au séminaire de l’Immaculée Conception à Huntington, dans l’Etat de New York.
Source : http://www.thecatholicthing.org/columns/2011/evangelizing-the-self-satisfied-secularist.html