Qu’on ne m’impute surtout aucun ressentiment à l’égard de la Belgique, ou de nos amis Belges. Né à quelques kilomètres de la frontière, non loin de l’abbaye de Chimay, j’ai toujours éprouvé de la considération et de l’amitié à l’égard de nos voisins et j’ai en tête quelques très belles figures que je révère et qui évoquent pour moi une sorte de bonté profonde, qui demeure à travers le temps une des caractéristiques de ce peuple. Mais voilà : depuis quelques années, l’évolution de la Belgique m’étonne et même me bouleverse. La facilité avec laquelle ont été votées, entérinées certaines lois transgressives m’a plongé dans un abîme de réflexion. Je pense notamment aux lois sur l’euthanasie, celle qui dernièrement autorisait l’euthanasie des mineurs. Et voici, dans le même registre, une information partout reprise et commentée. Un délinquant sexuel, interné depuis trente ans, a obtenu qu’on mette fin à ses jours, l’existence lui étant insupportable et ses souffrances inguérissables.
Ce dernier point fait d’ailleurs problème, puisque l’intéressé s’est vu refuser son transfert aux Pays-Bas, où il aurait pu être pris en charge par un service médical adapté. Mais ce qui me frappe avant toute chose en cette sinistre affaire, c’est que l’horizon de la mort que n’éclaire nulle espérance devient pour nos sociétés comme une fatalité. On ne s’engage pas impunément dans la voie du déni des lois non écrites. Il y a dans cette démarche une propension au nihilisme. Le paradoxe est que certains assimilent cela à une sorte de compassion du désespoir, tempérée parfois par une dose de stoïcisme. Dans la littérature contemporaine, qui n’est pas avare d’apologies de pratiques euthanasiques, je ne vois guère que le contre-exemple de Michel Houellebecq, qui, dans La carte et le territoire, exprime sa révolte et sa colère contre ce qui se déroule dans certaines cliniques de la mort en Suisse.
On peut me parler d’éthique, de discussions d’experts pour choisir la solution juste et humaine, je ne discerne qu’une pente fatale qui nous conduit à l’univers le plus sinistre, entrevu par des prophètes comme George Orwell.
Chronique diffusée sur radio Notre-Dame le 18 septembre 2014.