La miséricorde – et les paroles de pardon – est depuis peu presque sans interruption. La pitié de Dieu peut pardonner tous les péchés à l’exception, peut-être, de celui à l’encontre du Saint Esprit. Ce dernier a plus à voir avec celui qui a besoin du pardon qu’avec l’impossibilité déclarée de Dieu à le pardonner. Si quelqu’un « veut » fermement ne pas être pardonné, il ne peut pas l’être. Ou plus exactement, il ne peut pas recevoir les conséquences du pardon de Dieu. S’il pouvait être pardonné mais qu’il « veuille » toujours le péché, il serait Dieu lui-même, quoiqu’un dieu dont la volonté serait que le bien soit le mal. Un tel dieu n’est pas Dieu. Mais de ce que Dieu a le pouvoir de pardonner tous les péchés, il ne s’ensuit pas que tous les péchés seront pardonnés. Cela dépend du pécheur.
La miséricorde est une affaire seconde. Elle n’est pas nécessaire à moins que quelque chose n’aille mal dans le monde. Le Christ est venu pour les injustes, pas pour les justes (Lc 5,32). Dans un monde sans péché, personne n’a besoin de miséricorde. Cependant, le monde n’est pas sans péché, quelle que soit la force avec laquelle nous pourrions nier, en privé et en public, que certains péchés ne sont pas des péchés.
Thomas d’Aquin considère que l’univers fut créé dans l’amour, pas dans la justice, avant que quoi que ce soit qui ait besoin du pardon existât. Il n’y avait pas de nécessité pour Dieu de créer quoi que ce fût. La Création n’a pas eu lieu parce que Dieu « devait » quelque chose à quelqu’un, selon la justice. En créant, Dieu comprenait que des créatures libres, s’Il créait de tels types de créatures vacillantes, pourraient bien avoir besoin de la miséricorde en plus de la justice. Il a donc agi selon Son plan.
La miséricorde n’est pas « opposée » à la justice, comme si elle faisait disparaître la justice de Dieu et de l’homme. Ce n’est pas non plus la miséricorde ou la justice, mais bien les deux, la justice et la miséricorde. La miséricorde n’entre en scène que lorsque la justice est récompensée.
Dans l’évangile de Jean (20, 23), les disciples reçoivent l’Esprit Saint. Puis il leur est dit : « Ceux à qui vous pardonnerez leurs péchés, leurs péchés seront pardonnés ; ceux à qui vous maintiendrez leurs péchés, leurs péchés seront maintenus. » On parle beaucoup de la première partie de cette phrase mais bien peu de la dernière partie, ce « dont vous maintiendrez les péchés. »
Plusieurs choses semblent claires, au moins selon la logique. Les choses qui ne sont pas des péchés n’ont pas besoin d’être pardonnées. La plupart des choses que nous faisons ne sont pas des « péchés ». Même pour ceux qui nient l’existence du péché (s’il y en a, et il semble qu’il y en ait), la logique est claire. Certaines choses que nous faisons ou pensons sont des péchés, d’autres n’en sont pas. Nous sommes capables d’identifier ce que sont des péchés et si nous décidons de les mettre en œuvre. Si quelqu’un pense que c’est un péché de se brosser les dents le matin, il n’a pas besoin de pardon mais d’information, quoique même les consciences fausses obligent.
Donc, le pouvoir de pardonner les péchés est lié au maintien des péchés. Lesquels doivent être pardonnés ? Lesquels doivent être maintenus ? Quels péchés est-il obligatoire de « maintenir » ? Un confesseur n’est pas libre de pardonner ce qu’il est obligatoire de maintenir. En d’autres termes, quels sont les principes du maintien ?
L’Évangile, ça me frappe, n’a aucun doute sur le fait que certains péchés doivent être « maintenus ». Avec tout le respect dû aux théories qui veulent vider l’enfer et que tout le monde soit sauvé, elles semblent, si elles sont vraies, porter atteinte à la nécessité de nous soucier de nos péchés. Ils seraient pardonnés quoi que nous fassions. Mais ce n’est pas possible. Si aucun acte de notre part n’existe pour indiquer que nous réalisons ce qu’est un péché et que nous l’avons commis, nous ne sommes pas dans l’économie du pardon.
Le pardon exige quelque chose à pardonner et, ce qui n’est pas le moins, quelque indication que nous voulons être pardonnés. Nous reconnaissons que nous avons détruit l’ordre du bien par nos péchés. Pour ma part, je ne veux pas d’un Dieu qui se pardonne simplement, sans poser de questions ni exprimer d’exigences.
Quels péchés sont « maintenus » ? Seulement ceux que nous présentons, ou ne présentons pas, afin qu’ils soient jugés pour ce qu’ils sont, avec notre participation dans leur occurrence. L’action de « maintien » est du ressort du même que celui a le pouvoir de pardonner. Les motifs de maintien sont nombreux : nier que des péchés sont des péchés, nier que nous savions ce que nous faisions, nier que le pouvoir de pardonner ou de maintenir existe.
Le « maintien » est un acte tout aussi solennel que le pardon, peut-être même plus. Si les responsables du pardon et du maintien dissimulent ou annulent la différence de telle façon que tout est pardonné, quel que soit ce dont il s’agit, l’objet même de la délégation du Christ est vaincu. Le « maintien » des péchés signifie qu’ils ne sont pas pardonnés.
Paradoxalement, ce maintien est miséricorde. C’est la miséricorde de la vérité qui parvient au pécheur. Il sait « officiellement » qu’il n’est pas en règle avec son Dieu ni avec lui-même. Ce n’est que s’il connaît cette vérité sur lui-même qu’il peut réaliser qu’il lui faut encore reconnaître et se repentir.
Appeler un péché un péché est à la fois un acte de courage, de justice et de miséricorde.
Source : https://www.thecatholicthing.org/2016/07/05/and-those-whose-sins-ye-shall-retain/
Tableau : La Confessione, de Giuseppe Molteni, 1838 [Fondazione Cariplo, Milan]
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James V. Schall, s.j., qui fut professeur à l’Université de Georgetown pendant trente-cinq ans, est l’une des écrivains catholiques les plus prolifiques des États-Unis. Ses plus récents ouvrages sont « L’esprit qui est catholique », « L’âge moderne », « Philosophie politique et Révélation : une lecture catholique » et « Des plaisirs raisonnables ».