Je suis allé l’autre jour dans un bureau où j’ai vu un logo qui disait « espace sécurisé ». Je me suis immédiatement senti mal à l’aise.
J’espère que quiconque entre dans mon bureau se sent en sécurité. Mais ne serait-ce pas plutôt les gens qui viennent dans mon bureau qui devraient me dire s’ils s’y sentent en sécurité plutôt que moi ?
Quoi qu’il en soit, c’est une discussion stérile parce que je rencontre généralement mes étudiants dans des cafés, dont certains sont plus sûrs que d’autres. J’ai eu un étudiant, un jeune vétéran de l’armée, qui m’a dit qu’il était venu me voir dans un café où il savait que j’avais l’habitude de travailler le soir mais qu’il ne m’y avait pas trouvé. « Quand êtes-vous venu ? » ai-je demandé. « Vers 21h 20 » m’a-t-il dit. « je suis arrivé 5 ou 10 minutes plus tard ; pourquoi n’avez-vous pas attendu quelques minutes ? » « Non, non » a-t-il dit, « L’endroit était plein de gens branchés (c’est toujours le cas) et je pouvais sentir qu’ils me regardaient et me jugeaient, alors il fallait que je parte ».
Il n’y a pour moi aucun doute que la plupart des gens dans ce café se voient comme très « ouverts » et « accueillants ». mais ces choses peuvent être très relatives. Ce qui semble « sécurisant » et « accueillant » à un groupe de jeunes branchés qui adoptent un style très progressiste peut être rebutant pour une foule d’autres qui se sentent « jugés » parce qu’étant trop « quelconques », trop « normaux » ou pas assez « branchés ».
Je suppose que j’ai eu la même crainte instinctive d’être « examiné » et « jugé » quand j’ai vu le logo « espace sécurisé ». Mon regard était-il suffisamment approbateur ? Mon langage corporel était-il le bon ? Quelqu’un ayant remarqué l’expression légèrement perplexe de mon visage aurait pu penser que je désapprouvais, ce qui n’était pas mon intention.
Si l’occupante du bureau avait levé brusquement la tête et demandé : « vous regardez mon logo, y a-t-il un problème ? », qu’aurais-je répondu ? « Non, non, pas du tout – je regardais juste votre… logo ». M’aurait-elle cru ? Ou serait-elle restée méfiante ? Aurait-elle fait un rapport sur moi ?
Et si, par hasard, elle avait deviné que j’étais catholique ? Que ce serait-il passé ? Quelles hypothèses aurait-elle faite sur les horribles choses que je suis censé penser des homosexuels ? Je ne pourrais même pas convaincre mes propres parents protestants que les catholiques ne croient pas toutes les choses qu’ils savent que les catholiques croient.
Alors, peut-être que ce qui m’inquiète à propos du logo « espace sécurisé » est de savoir que l’un des passe-temps les plus populaires dans la culture populaire ces jours-ci est une version de ce qu’un auteur d’une ancienne génération a appelé malicieusement « surenchère » : prendre l’avantage sur l’autre. Vous dites : « j’ai rencontré le maire de Londres la semaine passée ». Et votre interlocuteur de répondre : « le maire de Londres ? quel homme charmant ! je l’ai eu à dîner l’autre semaine » – ce qui rend insignifiante votre petite rencontre avec le maire. Votre interlocuteur a pris l’avantage sur vous.
Aux Etats-Unis, un nombre croissant de gens semblent déterminés à jouer un jeu légèrement différent mais similaire que nous pourrions appeler « plus à gauche », le but étant de se trouver plus à gauche que l’autre type. Vous dites : « j’ai envoyé ma fille dans une école de filles très libérale et progressiste ». Et alors votre interlocuteur demande, avec un dédain à peine dissimulé : « elles continuent de s’appeler elles-mêmes filles ? Je veux dire, tant de ces établissements pour filles n’ont pas compris que le mot ‘fille’ peut-être préjudiciable pour les transgenres ». Et donc cette école très progressiste dans laquelle vous avez fièrement inscrit votre fille (et dont vous aviez prévu de vous vanter) a l’air maintenant moins progressiste, peut-être même discriminatoire.
Vous commencez à vous sentir très petit, ce qui était le but poursuivi.
Les gens peuvent bien faire comme ils veulent, mais il n’est pas évident que ces petites guerres de langage que nous menons dans le raffiné royaume universitaire aient jamais fait quoi que ce soit pour aider les gens que nous disons vouloir aider. Après des décennies de surveillance obsessionnelle du discours, les gosses des banlieues ont-ils une meilleure éducation ? Les homosexuels se sentent-ils moins anxieux ? Les minorités sont-elles traitées avec plus de justice dans le monde du travail, pour le logement et pour l’éducation ? Les femmes sont-elles davantage respectées ?
Parce que, si la réponse est non, et si tout ce que nous faisons se résume à des jeux de langage qui nous permettent de nous sentir mieux, comme si nous faisions quelque chose pour résoudre les problèmes, pour montrer que nous nous en préoccupons, pas comme ces autres gens qui sont moins conscients que nous, et bien alors je préférerais ne pas faire semblant.
Quelqu’un se sentira rarement « en sécurité » quand tant de gens se débattent rien que pour éviter de marcher sur une de ces mines toujours plus nombreuses installées par les engagés dans la guerre sans merci du « plus à gauche ». Les endroits qui écartent ces batailles avec des opinions et des attitudes « non politiquement correctes » sont généralement les opposés des « espaces sécurisés ».
Ainsi, par exemple, un groupe de pression a récemment lancé une pétition à l’université d’Oxford afin d’obtenir le renvoi de John Finnis, un professeur catholique, pour avoir « des opinions extrêmement discriminatoires contre plusieurs groupes de personnes désavantagées » (pour le dire autrement : pour ne pas partager leur opinion sur les activités homosexuelles et la chirurgie transgenre). Ils ont insisté pour que l’université « clarifie sa politique vis-à-vis des professeurs discriminants » parce que jusqu’à présent, les étudiants et membres du personnel doivent attendre une brimade ou une persécution de personne à personne avant de pouvoir se plaindre de l’atmosphère intolérante d’intimidation que font régner ces professeurs… par leur travaux publiés. » Il n’est pas nécessaire qu’ils vous maltraitent, juste qu’ils aient les mauvaises opinions.
Jusqu’ici, Oxford a refusé. Mais quel message est envoyé par cette pétition aux autres membres de l’université en ce qui concerne leur « sécurité » s’ils ne sont pas d’accord pour exprimer les opinions « approuvées » de tel ou tel groupe du campus, que cela ait avoir avec le mariage unisexe, la façon dont les musulmans traitent les femmes ou la politique israélo-palestinienne ?
C’est une question. Mais en voici une autre : la manœuvre tacticienne des gens engagés dans le jeu du « plus à gauche » fait-elle réellement quelque chose pour aider les minorités et les gens défavorisés qu’elle est supposée aider ?
Est-ce seulement sans danger de poser la question ?
Randall Smith est professeur de théologie (chaire Scanlan) à l’université Saint-Thomas de Houston.
Illustration : « les avantages du sparadrap ou le traitement pour une mauvaise langue » vers 1820 Cette image décrit un mari tentant de réduire son épouse au silence.
Source : https://www.thecatholicthing.org/2019/01/16/unsafe-safe-spaces/