Plus notre société rejette l’étendard de la Croix – son salut – plus elle s’affole, s’égare et est attirée de manière malsaine par la mort et le chaos. Laissant libre cours à une pulsion mortifère – celle du péché – dont seule la Croix du Christ peut nous libérer.
Ainsi, lors de son dîner avec les cultes, le 9 mars dernier, le chef de l’État a-t-il affirmé que le débat sur l’euthanasie se situait dans « une immense bataille entre Éros et Thanatos », c’est-à-dire entre des pulsions de vie et de mort, selon les catégories de la psychanalyse. Sauf qu’il ne s’agit pas seulement de pulsions, mais d’un combat qui traverse notre humanité : « Je mets devant toi la vie ou la mort », souligne le Deutéronome, avec un impératif, celui de « choisi(r) la vie ». Et c’est en raison de ce combat, à bien des égards inégal, que le Christ a planté sa Croix au milieu de notre monde.
Pulsions de mort
De fait, dans l’actualité récente, on peut avoir l’impression que des pulsions de mort traversent notre société de manière aiguë : juste avant que la Convention citoyenne sur la fin de vie ne rende son rapport, le 2 avril, une offensive de personnalités en faveur de l’euthanasie s’étale dans la presse : « La vie nous appartient, la mort aussi » (L’Obs). Sans oublier le nihilisme de groupuscules d’extrême gauche qui rêvent de mettre à bas le pouvoir en place par la rue, ou l’avortement revendiqué comme un droit sacré et absolu… Le tout au nom d’une conception faussée de la liberté.
Face à cela, les chrétiens ont en quelque sorte retourné la problématique, en développant une « science de la croix », dont Édith Stein – en religion sainte Thérèse-Bénédicte de la Croix – a donné au XXe siècle un exemple édifiant. Juive convertie devenue carmélite, elle a médité toute sa vie sur ce mystère de la Croix, et rédigé quelques jours avant sa déportation à Auschwitz un ouvrage qui montre combien cette « science de la Croix » est avant tout une « science de l’amour ».
Nulle passion morbide donc, chez celle qui écrit d’une plume inspirée : « La Croix ne constitue pas un but. Elle emporte nos âmes vers les hauteurs, (…) elle est l’arme puissante du Christ (…) celle dont Il frappe avec force la porte du Ciel tellement, qu’Il nous l’ouvre. Alors les flots de lumière divine jaillissent au-dehors et enveloppent tous ceux qui montent à la suite du Crucifié. »
La Croix est ainsi pour Édith Stein le lieu de l’union intime avec Dieu, où elle découvre la lumière du Christ. Et cette lumière nous illumine à notre tour. Sur la Croix, l’humanité de Jésus est bafouée, avilie, dégradée – comme pour certaines personnes en fin de vie – mais sa dignité et sa divinité n’en apparaissent que plus éclatantes à Pâques.
Cela implique cependant de consentir à la mort du vieil homme ! « Veillez et priez, pour ne pas entrer en tentation », exhorte le Christ à Gethsémani, avant d’être arrêté, trahi, renié par certains de ses disciples. La liberté bien comprise n’est pas celle de faire tout et n’importe quoi au gré de ses pulsions, mais de choisir librement le bien. « Quoi qu’il en coûte », pourrait-on dire…
Pour cela, affirme saint André de Crète en commentant les Rameaux, « c’est nous-mêmes qu’il faut abaisser devant lui, autant que nous le pouvons, par l’humilité du cœur et la droiture de l’esprit, afin d’accueillir le Verbe qui vient ».