Le 6 janvier dernier, au large des côtes australiennes, l’écologiste, pour ne pas dire l’éco-guerrier canadien Paul Watson, fondateur de la Sea Sheperd Conservation Society, à bord de son trimaran futuriste « Ady Gil » a été éperonné, volontairement ou involontairement, on ne le sait pas encore exactement compte tenu de la confusion de l’action, par le navire baleinier japonais « Shonan-Maru 2 » dont il voulait entraver l’activité. La guerre fait rage en effet depuis plusieurs années entre les pêcheurs baleiniers et les protecteurs de l’environnement pour lesquels la baleine est devenue l’espèce emblématique des animaux en voie de disparition qu’il convient désormais de protéger contre la prédation humaine.
La chasse à la baleine (il serait plus juste de dire la chasse ou la pêche de la baleine au harpon) est une activité fort ancienne dont les premières traces remonteraient au Ve millénaire avant J.-C. Il faut dire que dans la baleine, comme dans le cochon, tout est bon : la viande pour se nourrir, l’huile pour se chauffer, les os pour bâtir, les fanons pour fabriquer les parapluies et les corsets, l’ambre gris pour fixer les parfums et jusqu’à l’huile de crâne dite spermaceti pour fabriquer les bougies. Dès lors, les captures de baleines n’ont pas cessé d’augmenter, passant de 1 500 en moyenne par an dans les années 1890 pour atteindre les 50 000 dans les années 1930. C’est à cette époque qu’une première prise de conscience apparaît, moins par souci de protéger l’espèce en soi que celui de garantir la pérennité de l’activité, qui se traduit , en 1937, par l’Accord international pour la réglementation de la chasse à la baleine.
Mais c’est à partir de 1948, avec la création de la Commission baleinière internationale (CBI), rassemblant au départ une quinzaine de nations (une soixantaine aujourd’hui), que sont réellement arrêtées les mesures pour une conservation judicieuse des populations de baleines et le développement ordonné de l’industrie baleinière. La fixation de quotas liée à la disparition de certaines utilisations des sous-produits de la baleine va conduire plusieurs Etats à renoncer, dans les années 1960, à cette chasse devenue non rentable, mais plusieurs pays, pour lesquels cette activité continue à représenter un intérêt économique (Japon, Norvège, Islande, Danemark, URSS) s’accrochent. C’est en 1982 que la CBI adopte un moratoire interdisant de fait la pêche commerciale de la baleine. Les Etats récalcitrants semblent dans un premier temps s’y résoudre, avant de reprendre progressivement leur activité, le Japon s’abritant pour sa part derrière les permis spéciaux accordés par la CBI pour la recherche scientifique. De surcroît, indépendamment de ce cas particulier, ces Etats ne sont plus dans l’illégalité depuis qu’en 2006, une courte majorité a fait adopter par la CBI une déclaration selon laquelle le moratoire n’est « dorénavant plus nécessaire ». Il y a donc aujourd’hui un prélèvement de 2 000 baleines par an.
La seule question qui mérite d’être valablement posée est celle de savoir si l’existence des cétacés est réellement compromise. Selon le Comité sur la situation des espèces en péril du Canada, pays hostile à la chasse baleinière, seraient en voie de disparition, la baleine noire de l’Atlantique (il ne resterait que 325 spécimens), le rorqual bleu et la baleine à bec commune, tandis que seraient menacé le beluga du Saint-Laurent et dans une situation préoccupante le marsouin commun et le rorqual commun. Mais, apparemment, aucune donnée scientifique incontestable n’existe pour étayer cette affirmation, de même que pour la responsabilité de la chasse en la matière, les baleines étant tout autant menacées par les collisions avec les navires, la pollution chimique des eaux, la prise involontaire dans les filets de pêche, les exploitations énergétiques off shore dans leurs zones de nourrissage, la dégradation des habitats naturels ainsi que les effets du réchauffement climatique, toutes causes imputables, il est vrai, à l’activité humaine.
Dans ces conditions, on voit donc que, là encore, pour condamner la pratique de la chasse de la baleine, c’est le principe de précaution qui prévaut. Bien sûr, il est certain que ce gros animal venu du fonds des âges et revêtu d’une dimension quasi-sacrée depuis sa rencontre improbable avec le prophète Jonas, nous touche au plus profond de nous même. Mais doit-on pour autant, en son nom, préférer au dur labeur des marins, les pitreries médiatiques d’un excentrique à la démarche non moins commerciale que celle qu’il prétend dénoncer ?
Fabrice de CHANCEUIL