Père Jeannin, en quelques mots, quel est votre parcours et quelles sont vos fonctions ?
Je suis né en 1956 à Besançon dans une famille catholique qui n’était pas « bigote ». Mon père, ancien militaire était buraliste, ma mère était institutrice. Ma vocation religieuse remonte certes à ma petite enfance mais n’a pas abouti tout de suite. C’est le P. Gérard Daucourt, futur évêque de Nanterre, alors directeur de la maîtrise de Besançon, qui m’a fait découvrir les dominicaines de Béthanie à Montferrand-le-Château. Et c’est là que j’ai pensé un jour à devenir un frère prêcheur. J’ai été ordonné en 1984 et j’ai exercé différentes fonctions, en Égypte où j’ai appris à aimer l’Église d’Orient, dans le diocèse de Lyon où j’ai côtoyé avec passion le monde de la culture, puis, durant 14 ans, comme directeur du pèlerinage national du Rosaire à Lourdes, une grande expérience spirituelle qui m’a notamment permis d’approfondir la notion de pardon…
Depuis quelques mois, je suis, comme vous le savez, directeur du CFRT et producteur des émissions du « Jour du Seigneur », et je pense qu’il est utile de rappeler que j’ai été nommé par la conférence des évêques de France.
Quels sont vos rapports avec la chaîne publique France 2 ?
Un décret de la République impose à France Télévisions d’assurer un temps d’antenne pour les différents cultes. C’est ainsi que le dimanche matin est partagé entre les différents courants d’expressions religieuses. Le Jour du Seigneur étant la plus ancienne émission, nous bénéficions du créneau le plus tardif dans la matinée. Ce sont ces 90 minutes, de 10 h 30 à midi, dont nous disposons depuis 62 ans, mais que pour la première fois nous venons de bouleverser dans la grille de nos programmes.
Qu’est-ce qui vous a poussé à changer l’heure de la messe, ce rendez-vous hebdomadaire attendu par des millions de fidèles ?
Les habitudes des téléspectateurs évoluent. Nous pouvons glaner de nouveaux téléspectateurs, pas forcément catholiques, en fin de programme, ceux qui allument leur télé après la grasse matinée ou le jogging… Le dimanche matin, toutes chaînes confondues, il y a une progression de 500 000 téléspectateurs tous les quarts d’heure à partir de 11 h 30 ! Nous avons donc fait le choix d’avancer l’heure de la messe d’un quart d’heure pour que les zappeurs ne tombent plus chez nous au milieu de la distribution de la communion après avoir raté l’Évangile, la prédication et la prière eucharistique, c’est-à-dire les parties les plus catéchétiques de la messe. Pour être missionnaires, nous voulons proposer sur cette dernière demi-heure des formats plus courts et assez faciles à comprendre pour séduire ceux qui arrivent en nombre sur notre onde.
Comment ont réagi les habitués, les fidèles du « Jour du Seigneur » ?
C’est admirable, les centaines de milliers de fidèles qui participent avec nous à la messe tous les dimanches ont suivi sans trop de problème le changement d’horaire. Ils allument leur poste un quart d’heure plus tôt. Nous n’avons pas perdu d’habitués de la messe. En revanche, grâce à la seconde partie plus attractive, plus nerveuse à partir de 11 h 30, qui correspond mieux à la culture audiovisuelle de nos contemporains, nous espérons gagner quelques centaines de milliers de téléspectateurs.
L’horaire de la messe n’est donc pas un tabou, comme nous le craignions. En revanche, il y a quelques réactions d’inquiétude légitimes sur la durée de la messe. Pour pouvoir créer de nouvelles rubriques à partir de 11 h 30, nous avons dû rogner huit minutes sur l’ancien format de la célébration. Quatre minutes sont tombées d’elles-mêmes avec la suppression du générique spécifique de la messe et les commentaires de prise et rendu d’antenne, désormais assurés depuis le plateau. Puis nous avons retiré un couplet/refrain du chant d’entrée, diminué le temps de distribution de la communion, et nous avons demandé aux prédicateurs de porter leurs homélies à environ six minutes. Savez-vous que le président de la République, quand il s’adresse à la nation, est le seul avec le prédicateur du Jour du Seigneur à disposer à la télévision d’un temps de parole de six minutes ininterrompu ?
Comment se découpe dorénavant votre programme ?
Depuis quelques semaines, nous nous efforçons de ne plus avoir une succession d’émissions et de reportages hétéroclites, mais nous soignons l’unité de notre programme par un thème commun, une figure de témoin qui reste sur le plateau ou un sujet d’actualité de l’Église, comme par exemple le jubilé de l’Ordre de la Visitation. On tâche aussi de choisir le lieu de la messe et le prédicateur en lien avec cette thématique globale.
Le premier quart d’heure du Jour du Seigneur est donc consacré à présenter et à illustrer ce thème hebdomadaire par des petits reportages ou des interventions sur le plateau dans nos studios. À 10 h 43, la RTBF de nos amis belges reprend la messe que nous filmons en duplex et en direct. Cette messe dure donc de 45 à 46 minutes.
Après la messe, on a tout de suite une émission sur l’engagement des chrétiens, toujours en lien avec le thème de l’ensemble de nos émissions. L’envoi des fidèles à la fin de la messe fait d’eux des acteurs de l’Évangile dans le monde ! Dans notre émission sur le grand âge, nous avons par exemple proposé un reportage sur les « Petits frères des pauvres » qui associent des artistes et des personnes âgées. Nous avons ensuite le souci d’aider les chrétiens, mais aussi les zappeurs qui nous rejoignent pour quelques minutes, à comprendre le mystère de la foi. Il y a donc là une dimension catéchétique avec l’émission « Si j’ai bien compris » où un jeune comédien, Maxime d’Aboville, dialogue avec un théologien.
On présente un livre par semaine à la librairie La Procure de Paris. Puis l’invité sur le plateau intervient sur le thème de notre émission : le père Armogathe a parlé du Saint-Suaire, Jacques Barrot de son engagement politique de chrétien à l’occasion de la journée de l’Europe. On achève par une courte émission populaire qui présente un saint de la semaine. Durant l’été, nous faisons en juillet un grand reportage sur les chemins de Compostelle et en août sur Le Caravage qui a voulu faire entrer les pauvres dans sa peinture.
Pour tous ces changements, étant donné les enjeux de la mission de prédication du « Jour du Seigneur », vous avez consulté les évêques ?
Nous disposons d’un comité de suivi de nos émissions avec la conférence des évêques, qui se réunit trois fois par an. Ces rencontres sont très fécondes. C’est à l’occasion de ces réunions que les évêques nous ont demandé de développer une synergie avec KTO.
Quelles sont vos relations avec la chaîne câblée catholique KTO ?
À la demande des évêques, le CFRT a aidé financièrement KTO, mais surtout dorénavant nous produisons des émissions ensemble. Nous faisons conjointement une émission littéraire, « L’esprit des lettres », présentée par Pierre-Luc Séguillon, une émission d’entretien avec un grand témoin de l’Église et une émission « Ainsi sont-ils » qui présente quotidiennement des initiatives caritatives ou apostoliques.
Mais KTO n’est pas la seule chaîne avec laquelle nous travaillons. Nous produisons par exemple l’émission « Tombé du ciel » sur la chaîne parlementaire, et nous offrons notre compétence et notre expertise à un certain nombre d’émissions sur d’autres chaînes, quand les questions spirituelles ou évangéliques sont abordées. Par exemple nous préparons un film sur l’ordre de Malte, un documentaire sur la diplomatie du Vatican, un film sur mère Teresa qui ne seront pas diffusés le dimanche matin, mais accueillis sur d’autres créneaux horaires ou sur d’autres antennes.
Grâce aux dons des téléspectateurs vous poursuivez la réalisation de reportages et de documentaires…
Nous comptabilisons 300 000 téléspectateurs qui font un don annuel, et certains deux à trois fois par an. Ces 300 000 donateurs sont extrêmement fidèles puisqu’ils envoient leur contribution, en moyenne, depuis dix ans… Les sommes sont modestes, de l’ordre de 30 à 35 €, mais étonnamment régulières, ce qui permet une créativité de production et de garantir l’avenir. Car nous ne sommes pas totalement à l’abri d’un choix politique qui déciderait de supprimer le soutien de la chaîne publique aux émissions religieuses. Grâce aux donateurs, nous sommes à même de garantir la pérennité de notre service de l’annonce cathodique de l’Évangile… Sans caricaturer leur profil, on sait que nos donateurs ont soixante-dix ans et plus, que ce sont souvent des chrétiens pratiquants qui mesurent l’enjeu d’une prédication sur la chaîne publique et qui aiment nos émissions. Un tiers d’entre eux ont choisi le prélèvement automatique, et nous arrivons à dix millions d’euros de recette annuelle.
La télévision est un média très cher : nous avons près de soixante salariés, journalistes, réalisateurs, mais aussi techniciens de plateau. France 2 contribue pour sa part au soutien technique et aux salaires des journalistes, éclairagistes, monteurs, cadreurs, en ce qui concerne la messe proprement dite. Le montant de la contribution de la chaîne publique est fixé annuellement par le Parlement français. En gros, l’État subventionne la moitié du Jour du Seigneur, et les donateurs l’autre moitié.
Comment définissez-vous votre mission ?
L’enjeu du Jour du Seigneur est primordial du point de vue de la nourriture spirituelle des fidèles et de la mission. Nous touchons entre 8 et 12 % des téléspectateurs du dimanche matin. Notre nombre de téléspectateurs a un peu baissé ces dernières années, puisque la TNT a conquis 20 % de la part d’audience des chaînes hertziennes. Notre ambition est de rejoindre un public qui connaît mal la foi et pour qui notre émission est le seul contact avec l’Église.
Du côté des catholiques, nous sommes émerveillés par la fidélité et la générosité des téléspectateurs qui nous soutiennent, nous font part de leurs réactions, utilisent le Jour du Seigneur comme un outil d’évangélisation de leurs proches. Pour toucher un public plus jeune, nous faisons un effort sur Internet où nos émissions sont visibles à toute heure et que nous enrichissons d’autres reportages, interviews, rendez-vous de l’Église.
Nous avons donc un rôle supplétif dans les paroisses où il n’y a plus de messe ou dans les maisons de retraite et les hôpitaux, mais aussi un rôle missionnaire auprès des gens qui n’ont plus de lien formel et sacramentel avec l’Église. Pour des centaines de milliers de personnes, en France métropolitaine et dans les DOM-TOM, nous sommes le visage de l’Église.