ENTRETIEN AVEC LA PRESSE DANS L'AVION DU PAPE - France Catholique
Edit Template
Le martyre des carmélites
Edit Template

ENTRETIEN AVEC LA PRESSE DANS L’AVION DU PAPE

Copier le lien

CITE DU VATICAN, 6 NOV 2010 (VIS). Au cours du vol de Rome à Compostelle, le Saint-Père a comme à l’accoutumée rencontré les journalistes accrédités, pour répondre à certaines questions formulées par le Directeur de la Salle-de-Presse du Saint-Siège:

-Dans votre message pour le récent congrès des sanctuaires, tenu à Compostelle, vous dites vivre votre pontificat comme un pèlerin. Et dans vos armes figure la coquille du pèlerin. Que pouvez-vous dire de cette perspective, dans votre vie et dans votre magistère? Quels sont les sentiments qui vous portent vers Compostelle?

-« Je pourrais dire que cheminer appartient à ma vie », faite de nombreux déplacements jusqu’à Rome. « Mais c’est là un aspect extérieur, qui me fait penser toutefois à la fragilité de l’existence, fragile et en route. Certes, contre le pèlerinage, on pourrait dire que Dieu étant partout il n’est pas besoin de se rendre dans un lieu particulier. Mais il est également vrai que l’essence de la foi inclut la pérégrination… Parfois, sortir de la routine et de l’utilitaire pour cheminer matériellement vers la transcendance, nous transcende personnellement, nous offre une nouvelle liberté, un espace de réflexion intérieure et de retour sur soi et vers Dieu. C’est là aussi aller en pèlerinage… Les Chemins de St.Jacques sont un des éléments de formation de l’unité spirituelle de l’Europe. Les pèlerins ont trouvé et trouvent l’identité commune de ce continent. La renaissance de ce phénomène démontre un besoin physique comme spirituel d’aller vers l’autre, de trouver Dieu aussi dans le la liberté, le silence et le renouveau ».

-Puis on a demandé au Pape ce que signifiait pour lui de consacrer une église comme la Sagrada Familia de Barcelone, entreprise au XIX siècle, et ce qui l’impressionnait le plus dans l’oeuvre de l’architecte Gaudí:

« En réalité cette cathédrale est aussi un signe pour notre temps. Je perçois surtout trois éléments dans la vision de Gaudí. Le premier est une synthèse entre continuité et nouveauté, tradition et créativité. Gaudí a eu le courage de s’insérer dans la grande tradition des cathédrales, d’oser encore, en son siècle, avec une vision totalement nouvelle. Il présente cette cathédrale comme un lieu de rencontre entre Dieu et l’homme dans une grande solennité. Il a eu ce courage de rester dans la tradition mais avec une créativité nouvelle qui renouvelle la tradition, démontrant ainsi l’unité de l’histoire et du progrès de l’histoire, ce qui est une bonne chose. En deuxième lieu, Gaudí voulait ce trinôme: livre de la nature, livre des Ecritures, livre de la liturgie, et cette synthèse est justement aujourd’hui d’une grande importance. Dans la liturgie, les Ecritures se font présentes, deviennent réalité aujourd’hui; il ne s’agit plus d’Ecritures d’il y a deux mille ans, mais de celles qui sont célébrées et accomplies. Et dans la célébration des Ecritures, la création parle, et la créature trouve sa vraie réponse car, comme nous le dit saint Paul, la créature souffre, et au lieu d’être détruite et méprisée, elle attend les enfants de Dieu c’est-à-dire ceux qui la voient à la lumière de Dieu. Cette synthèse entre le sens du créé, des Ecritures et de l’adoration est vraiment un message important pour aujourd’hui. Enfin, c’est le troisième point, cette cathédrale est née d’une dévotion typique du XIX siècle: saint Joseph, la Sainte Famille de Nazareth et le mystère de Nazareth. Mais cette dévotion du passé, pourrait-on dire, est d’une très grande actualité car le problème de la famille, du renouvellement de la famille comme cellule fondamentale de la société, est un grand sujet aujourd’hui qui nous indique où aller, que ce soit pour l’édification de la société, que pour l’unité entre la foi et la vie, entre la religion et la société. La famille est le thème fondamental exprimé ici par Dieu lui-même qui s’est fait fils dans une famille et nous appelle à construire et vivre la famille ».

-Antoni Gaudí et la Sagrada Familia représentent, avec une particulière efficacité, le binôme entre foi et art. Comment la foi peut-elle aujourd’hui retrouver sa place dans le monde de l’art et de la culture? Est-ce un des thèmes importants de votre pontificat?

« Tout à fait. Vous savez que j’insiste beaucoup sur la relation entre foi et raison, et que la foi, la foi chrétienne, trouve son identité dans l’ouverture à la raison et que la raison se réalise en se transcendant vers la foi. Mais la relation entre foi et art est également importante parce que la vérité, objectif, but de la raison s’exprime dans la beauté et devient elle-même dans la beauté, elle s’éprouve dans la vérité… La relation entre vérité et beauté est inséparable et nous avons donc besoin de la beauté. Dans l’Eglise, depuis le commencement, même dans la grande modestie et pauvreté de l’époque des persécutions, l’art, la peinture, l’expression du salut de Dieu dans les images du monde, le chant mais aussi la construction, tout cela est constitutif de l’Eglise et reste constitutif pour toujours. C’est ainsi que l’Eglise a été mère des arts pendant des siècles: le grand trésor de l’art occidental -musique, architecture ou peinture- est né de la foi à l’intérieur de l’Eglise. Aujourd’hui, il y a une certaine dissension et cela endommage l’art comme la foi. L’art qui perdrait ses racines de la transcendance, n’irait plus vers Dieu et serait un art incomplet qui perdrait sa racine vivante. Et une foi qui ne trouverait l’art que dans le passé, ne serait plus une foi du présent, et aujourd’hui, elle doit s’exprimer de nouveau comme une vérité toujours présente. C’est pourquoi, le dialogue ou la rencontre, l’ensemble même, entre art et foi est inscrit dans l’essence la plus profonde de la foi. Nous devons tout faire pour qu’aujourd’hui encore la foi s’exprime comme un art authentique, comme Gaudí, dans la continuité et dans la nouveauté et que l’art ne perde pas le contact avec la foi ».

-La question suivante concerne la création du dicastère pour la nouvelle évangélisation à propos duquel on s’est demandé si précisément l’Espagne, pays très sécularisé et où la pratique religieuse a diminué, était un des objectifs principaux de la mission de ce dicastère, sinon son objectif principal.

« En constituant ce dicastère, j’ai pensé au monde entier parce que la nouvelle pensée, la difficulté de penser dans les concepts des Ecritures et de la théologie, est universelle. Mais il y a naturellement un centre, qui est le monde occidental avec sa sécularisation, sa laïcité et la continuité de la foi qui doit se renouveler pour être foi aujourd’hui et pour répondre au défi de la laïcité. En occident, tous les grands pays ont leur propre façon de vivre ce problème… L’Espagne a toujours été un pays originaire de la foi. Nous pensons que la renaissance du catholicisme à l’époque moderne a surtout eu lieu grâce à l’Espagne. Des figures comme saint Ignace de Loyola, sainte Thérèse d’Avila et saint Jean d’Avila, ont réellement renouvelé le catholicisme et ont formé la physionomie du catholicisme moderne. Mais il est vrai aussi qu’est née en Espagne une laïcité, un anticléricalisme et une sécularisation forte et agressive, comme nous l’avons vu dans les années trente et cette dispute, ce choc entre foi et modernité, toutes deux très vives, se réalise de nouveau aujourd’hui en Espagne. C’est pourquoi, la culture espagnole a pour point central l’avenir de la foi et de la rencontre, non de la collision, mais de la rencontre entre foi et laïcité. Voilà pourquoi j’ai pensé à tous les grands pays de l’occident mais aussi surtout à l’Espagne ».

-Avec le voyage à Madrid l’an prochain pour les Journées mondiales de la jeunesse vous aurez effectué trois voyages en Espagne ce qui n’est jamais arrivé pour aucun autre pays. Pourquoi ce privilège? Est-ce un signe d’amour ou de particulière préoccupation?

« Naturellement, c’est un signe d’amour. On pourrait dire que c’est par hasard que je viens trois fois en Espagne. La première, la grande rencontre internationale des familles à Valence: comment le Pape pourrait-il être absent alors que les familles du monde se rencontrent? L’an prochain, les JMJ, la rencontre de la jeunesse du monde à Madrid. Et le Pape ne peut être absent pour cette occasion. Et enfin, nous avons l’année jacquaire, la consécration après plus de cent ans de travaux, de la cathédrale de la Sagrada Familia de Barcelone. Comment le Pape pourrait-il ne pas venir? Les occasions fournissent d’elles-mêmes les défis, presque une nécessité d’y aller. Mais le fait que ce soit en Espagne que se concentrent tant d’occasions montre aussi que c’est réellement un pays très dynamique, plein de la force de la foi, et la foi répond aux défis qui sont également présents en Espagne. C’est pourquoi, je vous dis: l’évènement a fait que je vienne, mais il démontre une réalité plus profonde, la force de la foi et la force du défi pour la foi ».

PV-ESPAGNE/ VIS 20101107 (1480)