Je me suis fait sérieusement taper sur les doigts pour un récent éditorial où je reconnaissais quelques mérites à Michel Onfray, à propos du livre qu’il vient de publier sur Albert Camus. Comment pouvez-vous vous laisser prendre, me dit-on, à ce faiseur habile ? « Attention, l’arbre vous cache la forêt », « Continuez à avoir le cœur doux, mais gardez l’esprit dur ». On n’est jamais mieux corrigé que par ses propres amis. Mais une seconde réprimande me tombe dessus : « Mon cher Gérard, vous avez des indulgences déplacées. Il n’y a que du venin chez Onfray… » Que répondre à pareilles interpellations ? Oui, c’est vrai que je suis tenté par une discussion avec Michel Onfray, alors qu’il y a peu de temps, j’aurais eu du mal à l’envisager. Plusieurs signes de sa part que je veux garder discrètement, ont montré plus de disponibilité à l’échange qu’autrefois. Et puis il y a ce Camus qu’il vient de publier et que je suis en train d’éplucher la plume à la main, après que son ami Franz-Olivier Giesbert l’a généreusement présenté dans Le Point.
Camus, que je lis depuis l’adolescence, a toujours été une de mes références. J’ai lu, très jeune, par exemple ses Chroniques algériennes auxquelles Onfray fait un sort, et c’est pourquoi je suis sensible à une mise au point intellectuelle et historique, qui me console et même me venge de tant de déformations et de vilenies. Mais ce qui me touche le plus dans ma lecture, c’est cette confrontation d’homme à homme, cette leçon de véracité et d’honnêteté foncière que perçoit l’animateur de l’université populaire de Caen chez le fils de la veuve d’Alger. Et puis, philosophiquement, je ne puis qu’être de son côté lorsqu’il prend partie en faveur de Kierkegaard contre Hegel.
Kierkegaard ! Je sais bien qu’on peut s’intéresser au penseur danois de multiples façons et sans aller jusqu’au bout de sa logique existentielle, celle qui mène au paradoxe de la Croix et donc au saut de la foi au Christ. Mais tout de même, voilà qui me semble ouvrir une brèche dans ce que j’appelle sommairement le système Onfray, celui défini par son Traité d’athéologie. Jean Daniel, dans un bel article, a aussi signifié à l’intéressé qu’il y avait une autre référence camusienne qu’il fallait prendre en compte : Dostoïevski, qui alternait avec Nietzsche dans l’esprit de l’auteur de l’homme révolté. Affaire à suivre…