Indispensables, les pères le sont comme exemples et guides en matière de sagesse et de vertu pour nos enfants. Sans la figure tutélaire du père, les jeunes se sentent souvent orphelins, délaissés à une période critique de leur croissance et de leur épanouissement. (Pape François)
Mon père, Harold « Pat » Beckwith est mort il y a un an à l’âge de 84 ans. Depuis ce matin de mercredi des Cendres 2015, il ne s’écoule pas un jour sans que je pense à lui. Marié à ma mère plus de 55 ans, c’était à la fois un homme remarquable et un père remarquable.
Sa famille déménagea du Connecticut au faubourg d’Astoria, dans le Queens, New York, peu de temps après la naissance du plus jeune de ses frères, Ron, en 1931. C’était alors en pleine Grande Dépression. J’étais alors un gamin et, quand j’interrogeais mon père sur cette époque, en revenait toujours à une image brute: celle d’un réfrigérateur vide. C’est pourquoi, si vous vous trouviez par hasard chez mes parents quand un repas était préparé ou servi, vous remarqueriez vite un réfrigérateur archi-plein. Et pourtant, comme Harry Houdini, mon père se débrouillerait toujours pour trouver encore de quoi caser une chose de plus.
L’habitude qu’il avait de « trouver de la place » n’était pas l’exclusivité du domaine de la cuisine. C’était un signe positif intrinsèque à son caractère. Il se débrouillait toujours pour faire de la place à d’autres, et il ne paraissait jamais débordé pour autant. Dans les années 1970, à l’époque d’un passage difficile pour sa soeur et ses enfants, mon père (conjointement avec ma mère) leur offrit notre maison comme un asile sûr.
Mon père avait une sagesse exceptionnelle, qui se manifestait de diverses manières. Quand j’avais huit ou neuf ans, en pleine guerre froide, j’interrogeais mon père sur l’Union Soviétique. Après m’avoir fait un survol historique et parlé du rôle qu’elle joua dans la seconde Guerre Mondiale, il ajouta que c’était un pays communiste. A quoi je répondais: « Qu’est-ce que le communisme ? ». Il rétorqua: « Eh bien, mon fils, dans un pays capitaliste, certaines personnes possèdent une Cadillac, d’autres non. Mais, dans un pays communiste, tout le monde est traité sur un pied d’égalité: personne n’a de Cadillac ».
Au cours d’une récréation, alors que j’étais à l’école élémentaire St Viator, je remarquais que mon frère, Jim, était en train d’encaisser les coups d’un voyou. Je courus alors, empoignais cette brute et commençais à lui porter des coups. Deux de nos profs nous séparèrent. J’étais aussitôt escorté jusqu’au bureau de la directrice, Soeur Joyce. Elle appela mes parents. Quand ils arrivèrent, la soeur Joyce leur expliqua ce qui était arrivé, et qu’il n’y avait aucune excuse pour une telle violence, même si c’était dans le but de protéger mon propre frère.
Mon père remercia Soeur Joyce de les avoir prévenus, et il affirma que la discipline paternelle serait administrée à la maison. Cependant, dès que nous avions quitté le bâtiment, en nous dirigeant vers la voiture sur le parking, papa se pencha vers moi et me dit: « Je suis fier que tu aies défendu ton frère ». La leçon était claire: amour filial et loyauté fraternelle sont des héritages qui risqueraient de disparaître par négligence s’ils n’étaient pas cultivés.
Je ne peux pas me souvenir d’avoir jamais eu un conflit avec mon père. Ce qui ne veut pas dire qu’il n’ait jamais infligé de correction à ses enfants. Mais il le faisait à une manière bien à lui. Une certaine nuit, après avoir festoyé avec des amis célibataires, en 1982, il me découvrit à l’aube sur la pelouse, devant la maison. Manifestement, j’avais bu un martini de trop dans la nuit et j’avais été « largué » quelques heures plus tôt par mes compagnons. Au lieu de me réprimander pour mon imprudence infantile, il m’aida à m’extraire de l’herbe, m’accompagna jusqu’à la maison et prépara le petit-déjeuner pour nous deux. Il ne dit pas un mot quant au jeune de 21 ans qu’il avait découvert, inconscient, sur sa pelouse. Quand il me tendit une assiette de toasts gras et parfumés et les passa sous mon nez, leur odeur faillit me faire vomir. Alors, il me regarda avec un sourire coquin et dit: « J’espère que tu as compris la leçon ». Aucune remontrance ni réprimande n’était nécessaire.
L’embarras que j’en ressentais était largement suffisant.
Au cours de la dernière décennie de sa vie, mon père s’adonna à la poésie, en écrivant des poèmes pour toutes sortes d’occasions: anniversaires, commémorations et vacances. C’est pourquoi tous ses quatre enfants adultes, ma mère et ses onze petits-enfants nourrissaient l’espoir, chaque année, de recevoir de mon père sa dernière production littéraire, expression de son amour pour eux.
Ma femme et moi vivions à Rome quand, le 12 février, nous reçûmes par mon frère Jim le terrible diagnostic du docteur. Entre ce jour et celui de notre retour aux Etats-Unis, je me sentais complètement désemparé. Au cours de nos entretiens visuels à distance avec nos parents, il était de plus en plus évident que la santé de mon père, ainsi que la conscience qu’il en avait, déclinait rapidement. Ainsi, pour la Saint Valentin, je composai un poème pour lui, déclamé et enregistré sous forme d’une vidéo transmise par Internet, afin qu’il puisse l’entendre de moi avant notre retour.
Tu restes un personnage dominant
Un homme à la vie riche et profonde
Rien ne saurait porter atteinte à cette gloire
Ton histoire est nôtre, étroitement, complètement solidaire
.
Gravé pour l’éternité est l’héritage que tu laisses
En épouse, enfants et deux générations
Bâti avec des liens qui ne peuvent être rompus
Ni dans le temps, ni dans l’espace, rien ne les atteindra
.
L’amour, vertu capitale qui gouverne tout
A travers toi a atteint la multitude
C’est avec grâce que tu t’armes de flèches et de frondes
Quand toute vicissitude t’assaille
.
Ta bonne humeur, ton esprit, ta gentillesse
La dévotion que tu as pour notre Mère, ton épouse
Le sens de ta rectitude habituelle
Chacun se sent réchauffé par ta vie
Requiescat in pace
Francis J. Beckwith est Professeur de Philosophie et d’Etudes Eglise-Etat, à l’Université Baylor
Source : https://www.thecatholicthing.org/2016/02/18/remembering-my-father/
Photo : Pat Beckwith et fils Frank et Jim (1968)
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