Les événements majeurs de la période récente – crise sanitaire et guerre en Ukraine – auront au moins eu la vertu de remettre en lumière une caractéristique essentielle de l’Église catholique : sa romanité. Et son utilité dans le champ politique, voire géopolitique.
Cette leçon, c’est un philosophe orthodoxe très philo-catholique qui nous la donne, un grand esprit de la fin du XIXe siècle : Vladimir Soloviev. Celui que l’on a appelé « l’Origène russe », de par le rayonnement de sa pensée, mort d’épuisement à 47 ans, n’a eu de cesse de dénoncer les excès autoritaires de l’empire tsariste. Paru en 1889 à Paris, son livre-phare La Russie et l’Église universelle est essentiel pour nous à plus d’un titre.
Soloviev y déplorait, déjà, l’oubli de la Royauté du Christ dans un monde en voie de sécularisation. Et il indiquait aussi la boussole qui permettrait aux chrétiens de ne pas perdre le nord dans ce contexte : Rome.
L’Église catholique romaine, écrivait-il ainsi, « n’est ni une Église nationale, ni une église d’État ». C’est la seule Église au monde, selon lui, « qui permette d’échapper aux particularismes des nations et à l’égoïsme des individus ».
Ces lignes inspirées éclairent notre actualité d’une manière prophétique. Comment ne pas penser, en effet, à la petite minorité gréco-catholique en Ukraine, qui a fait le choix de s’unir à Rome au XVIe siècle, en le payant au prix fort ? Aujourd’hui, ce choix apparaît comme la seule voie qui évite de tomber dans le travers d’Églises orthodoxes dites « nationales », c’est-à-dire alignées sur le gouvernement de leur pays, et sommées de prendre parti dans la guerre.
Mais cette leçon est valable également pour la France. L’Église romaine, poursuivait Soloviev, est aussi « la seule (…) qui affirme la liberté spirituelle contre l’absolutisme d’État » et contre laquelle, par conséquent, « les portes de l’enfer n’ont pas prévalu ».
Précieuse liberté
C’est dire combien cette liberté est précieuse, et combien elle a paru fragile lors du premier confinement, lequel a entraîné la suppression du culte public pendant de trop longs mois. Les catholiques fervents n’ont pu que déplorer alors l’alignement de nombreux prélats sur le fameux protocole gouvernemental, jusqu’à ce que la liberté de culte soit reconnue devant les tribunaux.
Cette leçon de Soloviev est donc un appel pour l’Église catholique à ne pas calquer sa conduite sur l’État, mais au contraire à être le « miroir des princes » (cf. p. 10). Miroir non pas complaisant, mais reflet de la réalité parfois crue, et qui rappelle que la Cité chrétienne parfaite n’existe pas, et n’existera jamais…
Une voix dérangeante, forte et courageuse, qui éveille les consciences en assumant d’être un signe de contradiction sur des questions anthropologiques majeures – il suffit de penser à celle de l’euthanasie, à laquelle le candidat-président a entrouvert la porte… ou la boîte de Pandore !
En ces temps de « fatigue démocratique » (Le Monde, 27 mars), et au terme d’une campagne présidentielle atone pour un bon tiers des Français qui n’envisagent pas d’aller voter (10 % de plus qu’il y a cinq ans), c’est cette voix, et peut-être elle seule, qui aurait permis d’animer, au sens propre, et de faire vivre un vrai débat.