Nous avons donc peut-être jusqu’en 1986 pour savoir exactement ce que veut M. Savary. La dernière formulation de son projet scolaire est-elle un nouveau projet, visant, comme on nous l’assure, à mettre un point final et définitif à la « guerre scolaire » ?1.
Si c’est cela, je ne vois pas bien de quoi il s’agit, car quelle est cette « guerre scolaire » ? Qui fait la guerre à qui ? Avons-nous demandé la suppression de l’école d’État ? Ce serait peut-être une excellente idée, le remarquait Jacques Ellul dans un précédent numéro2. Mais jusqu’ici, les hostilités de cette « guerre » sont unilatérales.
C’est l’école libre, et elle seule qu’il est question de supprimer dans les textes originaux auxquels M. Savary veut donner force de loi3. Mettre un point final à la guerre scolaire, est-ce accepter notre disparition ? « Cessez donc de vous défendre, bellicistes ! »
N’ayant pas très bien compris la prose pateline de M. Savary, j’ai relu M. Mexandeau, rédacteur des projets scolaires du gouvernement avant mai 1981. M. Mexandeau, lui parle en clair 4.
– La petite enfance est jusqu’à six ans un des temps décisifs de l’existence de chaque individu. (C’est possible, les savants et les moralistes ont leur idée là-dessus5. Mais qu’est-ce à dire ? que l’État doit intervenir sur les « temps décisifs de l’existence de chaque individu ? » Voyons la suite.)
C’est à ce moment… que sont prises certaines habitudes de langage, de formation de la pensée, de traits de mentalité qui sont autant de structures longues qui durent tout au long (sic) de l’existence (même remarque – je ne vois toujours pas pourquoi un homme politique disserte sur les « habitudes de langage, la formation de la pensée, les traits de mentalité, les structures longues qui durent tout au long » sic, etc. ; je ne le vois pas, mais je suis inquiet, non sans raison), car « c’est à cet âge aussi que la socialisation des enfants peut être rendue plus facile » (indiscutablement : c’est à cet âge que la « socialisation des enfants » est « plus facile », de même d’ailleurs que leur nazification, stalinisation, maoïsation, fascisation, etc. Voilà donc à quoi pense l’inspirateur des réformes que l’on propose dans un esprit de paix scolaire, puisqu’il nous suffit de les accepter pour mettre fin à la guerre. M. Mexandeau tient d’ailleurs à être bien compris) « c’est pourquoi, ajoute-t-il en effet, la petite enfance sera l’objet d’une priorité absolue pour un gouvernement de gauche » (a).
« La petite enfance sera l’objet d’une priorité absolue
pour un gouvernement de gauche »
Ainsi donc, quand grattant sous l’embrouillamini des phrases lénitives, on cherche le sens final, réel, de ce qu’on nous propose, voilà ce que l’on trouve. Les maîtres d’œuvre d’un projet exposé par M. Mexandeau veulent nous prendre dès la petite enfance pour nous inculquer certains « traits de mentalité », et « structures longues qui durent tout au long, sic, de l’existence ». Que l’on nous permette d’abord de rire un peu tant qu’il en est temps.
Les « structures longues » acquises par l’auteur dans sa « petite enfance » semblent exclure la tolérance des autres, comme elles semblent scellées dans la langue de bois qui enténèbre de plus en plus le discours politique. Mais passons : c’est son droit le plus strict d’être intolérant. Il faut de tout pour faire un monde, y compris des idéologues, et même des astrologues.
Tant que l’idéologue me prêche, je n’y vois pas d’inconvénient. Plût au ciel que d’innombrables idéologies aient pu s’exprimer dans l’Allemagne hitlérienne, plaise au ciel que l’on puisse prêcher le socialisme de M. Mexandeau sur la place Rouge sans en prendre pour sept ans, comme on ne cesse de le voir.
Que, dans un pays libre, tout rêveur ait le droit d’exprimer ses rêveries et même sa ferme intention de les substituer à mon héritage spirituel, encore une fois, je n’y vois pas d’inconvénient. De mon côté, j’ai le droit de trouver sa prétention risible.
L’uniformité, c’est la régression
Qui sont, en effet, ces doctrinaires qui croient pouvoir passer les Français à la moulinette ? Je comprends qu’ils aient, un moment, tenté d’effacer notre mémoire historique. Dame, ce n’est pas la première fois que l’on veut rendre les Français, non point égaux, mais identiques, et que voulez-vous, ce peuple est rebelle. Il a toujours recouvré ses singularités, aussi anciennes et invétérées que, précisément, l’histoire.
Mais, souvent, pour retrouver le droit d’être ce qu’il est, son sang a coulé. Chacun sait cela. Ah, si l’on pouvait dans une école strictement conforme au modèle idéologique, lui enseigner une histoire orthodoxe génératrice de ces structures longues seules capables, croit-on, de le – comment dites-vous cela ? – « socialiser » ! Seulement, cela n’a jamais marché, Dieu merci.
« Prenez les enfants ! » L’idée est de Gramsci6. Dans les pays de vieille culture et d’économie avancée, l’idéologue ne peut plus compter sur telle ou telle classe sociale pour se faire porter au pouvoir absolu, non partagé, seul capable de réaliser la sornette idéologique.
Le coup d’État à la Gramsci passe donc par la conquête des esprits, en commençant par l’école. La culture suit (croit le rêveur italien), et le peuple accepte tout naturellement par uniformité spirituelle ce que la violence n’a pu lui imposer7.
Tel est le nouveau schéma marxiste. Le but est toujours le même : la normalisation.
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Si encore leur modèle normalisé était intéressant !
Mais s’il l’était, échouerait-on depuis toujours à nous l’imposer ? Le ras le bol des écoliers, la déroute de l’enseignement, le chômage à la sortie de l’école alors que les entreprises engagent toutes les compétences (voyez les petites annonces du Monde et du Figaro), d’où viennent ces incompréhensibles contradictions ?
Vraiment plus on s’interroge sur cet idéal d’un « service unique » et mieux l’on voit que seule la diversité convient au monde en train de naître : l’uniformité c’est la régression.
« En ce moment, disait le fameux Fortoul, ministre de l’instruction publique de Napoléon III, tous les écoliers de France sont en train de faire leur version latine. » L’école de Fortoul, d’où son rêve voyait sortir une France docilement bonapartiste fabriqua les esprits les plus radicaux de la IIIe République.
Une école diversifiée, ou la chiourme
Pourquoi ces errements toujours recommencés ? Si vous voulez rendre les Français enragés, essayez d’en faire des moutons. Il y a sûrement beaucoup à faire en France pour l’école. Quoi donc ? Discutons jusqu’en 1986. Discutons et préparons sa diversification. Son adaptation à une société de plus en plus complexe, en constante évolution. Bref, discutons des moyens propres à la rendre plus disponible, plus sérieuse, plus libre.
La seule réforme encore digne de crédit, après tant d’échecs et de confusions, serait que la France se donne enfin une école à son image, c’est-à-dire riche de ses différences8.
Ce sera cela, ou la chiourme.
Aimé MICHEL
(a) Cité par le Figaro, 19 septembre 1983, p. 31, col. 5.
Chronique n° 380 parue dans F.C.-E.– N° 1925 – 4 novembre 1983
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Notes de Jean-Pierre ROSPARS du 28 septembre 2015
Notes de Jean-Pierre ROSPARS du 28 septembre 2015
- La « guerre scolaire » est une vieille passion française puisqu’elle oppose les partisans de l’école publique à ceux de l’école privée dès la Révolution. Elle connaît un paroxysme en juillet 1904 lorsque Émile Combes (1835-1921), ancien séminariste devenu farouche anticlérical, alors ministre de l’Instruction publique et des Cultes, interdit tout enseignement aux membres des congrégations religieuses. Plus de deux mille écoles sont fermées. Mais son militantisme tracassier finit par indisposer d’autant que des délégués sont institués pour surveiller et ficher les sentiments républicains de l’armée, des fonctionnaires et de la population en général ! Combes tombe en janvier 1905. La seconde guerre scolaire commence en 1972 lorsque le Parti socialiste nouvellement créé rend public son programme de politique générale intitulé « Changer la vie ». Le chapitre consacré à l’école y annonce « une école au service du peuple » : « les socialistes entendent créer un grand service public laïque et gratuit d’enseignement, d’éducation permanente et de formation professionnelle, géré à tous les niveaux par les pouvoirs publics, les représentants du personnel, les représentants des usagers. » Il précise même que « ceci implique qu’il doit être procédé à la nationalisation de l’enseignement. Tous les établissements scolaires (ayant reçu ou non des fonds publics) seront intégrés. » Ce programme a beau reprendre une formule reprise du Contrat socialiste élaboré par François Mitterrand, selon laquelle « les objectifs et les structures de l’enseignement laïque garantiront son ouverture à toutes les familles spirituelles dans le respect de la liberté de conscience », rien n’y fait, doute et crainte s’installent. En 1976, une première version du plan socialiste pour l’éducation préparé par Louis Mexandeau et Roger Quillot détaille tout cela. Elle se retrouve, par fuites, cité et commenté dans la presse qui la comprend bien sûr comme le plan qu’appliqueraient les socialistes s’ils arrivaient au pouvoir. L’Union nationale des associations de parents d’élèves de l’école libre (UNAPEL) réagit et la polémique enfle. Le projet amendé, après discussion par les militants et les responsables, est finalement publié en 1978 avec une préface de François Mitterrand sous le titre Libérer l’école. Plan socialiste pour l’Éducation nationale, ce qui ne calme guère les esprits. Quand, après une longue traversée du désert la Gauche revient au pouvoir en mai 1981, l’affaire se corse. En 24 avril 1982, les partisans de l’école libre rassemblent 100 000 manifestants à Paris et le 9 mai les laïques en rassemblent le double au Bourget pour célébrer le « centenaire des lois laïques ». Au moment où Aimé Michel écrit cette chronique en novembre 1983 la guerre scolaire est donc clairement ouverte mais, comme il le prévoit, elle aboutit l’année suivante à une rébellion et se solde par un échec (voir note 3). Les causes de cet affrontement et de cet échec sont multiples. L’historien de l’éducation Antoine Prost les analyse notamment dans La tornade qui emporta Savary (Seuil, Paris 1992) et Éducation, société et politique (Seuil, Paris, 1997). Les raisons religieuses ont pu jouer un rôle mais les principales selon A. Prost sont une réaction face à un excès de réglementation et une préoccupation quant à la qualité de l’enseignement. En fait, 55 % des Français considéraient que la loi supprimant la distinction entre l’école privée et l’école publique constituait une atteinte aux libertés. Les parents souhaitaient conserver la possibilité d’orienter les études de leurs enfants contre les décisions prises dans l’enseignement public et voyaient donc dans l’école privée une deuxième chance. Quant à la qualité de l’enseignement, une enquête menée dans le nord en 1976, plaçait comme motifs du choix de l’enseignement privé dans l’ordre : une meilleure formation humaine et morale, l’éducation chrétienne, enfin le fait que « l’on s’occupe de nos enfants ». En 1980, le degré de satisfaction des personnes interrogées est très différentes dans le privé et dans le public : 99 % des personnes qui ont leurs enfants dans le privé en sont satisfait contre 76 % dans le public, ce qui montre une fois de plus que pour pouvoir juger il faut d’abord pouvoir comparer. Les idées exprimées dans cette chronique étaient donc largement en phase avec l’opinion. Rien n’indique que ces idées aient beaucoup changé même si un sondage effectué en 2010 indique un rapprochement des degrés de satisfaction des parents : 87 % dans le privé, 82 % dans le public (http://www.harrisinteractive.fr/news/2010/01092010.asp).
- Sur l’universitaire bordelais Jacques Ellul (1912-1994) « juriste, historien, sociologue et théologien protestant », voir la chronique n° 395, L’homme qui rêvait dans la caverne – Petit chahut au fond de la classe à propos d’un article de Jacques Ellul, mise en ligne la semaine dernière.
- Alain Savary, né en 1918 à Alger et mort en 1988 à Paris, fut ministre de l’Éducation nationale de 1981 à 1984 au début de la présidence de François Mitterrand. Fils d’un ingénieur des chemins de fer, affecté à la marine pendant la guerre, il avait rejoint le général de Gaulle en juin 1940. Ce dernier le nomma gouverneur de Saint-Pierre-et-Miquelon dont la population avait choisi la France libre par référendum. Ensuite, il avait participé à la campagne d’Italie puis au débarquement de Provence et à la campagne de France. La paix revenue l’éloigne du général de Gaulle. Après diverses fonctions officielles, dont celle de secrétaire d’État chargé des affaires marocaines et tunisiennes (il se passionne pour la décolonisation et une avenue de Tunis porte aujourd’hui son nom), il devient secrétaire générale adjoint de la Section Française de l’Internationale Ouvrière (SFIO), l’ancêtre du Parti socialiste actuel, mais le quitte peu après car il désapprouve l’arrestation d’Ahmed Ben Bella, le chef du part indépendantiste algérien, décidée par Guy Mollet, chef du gouvernement SFIO de l’époque. Il rejoint le Parti Socialiste Unifié (PSU) de Pierre Mendès-France et Michel Rocard et milite pour le regroupement de la gauche. En 1969 l’Union des clubs pour le renouveau de la gauche dont il est secrétaire fusionne avec la SFIO pour créer le Parti socialiste. Il en est élu premier secrétaire devant Pierre Mauroy mais, en 1971, il est remplacé à ce poste par François Mitterrand (qui n’appartenait pas à la SFIO). Député de la Haute-Garonne (1973-1981) puis président du conseil régional de Midi-Pyrénées (1974-1981), il échoue aux élections municipales de Toulouse en 1977 devant Pierre Baudis. En mai 1981, Pierre Mauroy, Premier ministre, le nomme ministre de l’Éducation Nationale. Il le restera sous les trois gouvernements Mauroy successifs. Il n’a guère d’expérience dans le domaine de l’éducation mais, comme on vient de le voir, c’est un homme de conviction et qui sait dire non. Deux de ses actions au ministère demeureront. C’est d’une part la « Circulaire Savary » de 1982 qui reconnaît et organise l’enseignement des langues régionales et autorise les classes bilingues, et d’autre part la création des zones d’éducation prioritaires (ZEP) destinées à lutter contre les inégalités sociales. Par contre la « Réforme Savary » qui vise à mettre fin à la distinction entre l’école privée et l’école publique, et à mettre en place un « grand service public, unifié et laïque, de l’éducation nationale » selon la promesse de François Mitterrand (c’était l’une de ses 110 propositions pour la France) lui vaut bien des déboires. Il fait voter cette réforme en 1984 mais elle suscite un tollé et aboutit à des manifestations d’ampleur croissante à Bordeaux le 22 janvier, à Lyon le 29, à Versailles le 5 mars (plus de 500 000 personnes) puis à Paris le 24 juin 1984 (de l’ordre du million de personnes). Le 14 juillet, François Mitterrand cède devant la pression : il désavoue son ministre qui remet sa démission quelques jours avant la démission complète du gouvernement Mauroy (officialisée le 18 juillet).
- Louis Mexandeau est né près d’Arras en 1931, cinquième d’une famille de sept enfants, d’une mère catholique et d’un père protestant, tous deux agriculteurs. Son père est issu d’une famille d’instituteurs ruraux des Deux-Sèvres admirateur du « Petit père Combes » mais il meurt alors que le petit Louis n’a que cinq ans. Professeur d’histoire et géographie, agrégé d’histoire, il prépare à Caen aux Écoles Normales Supérieures de Sèvres-Ulm et de Fontenay-Saint-Cloud (1963-1973). Militant au Parti communiste de 1952 à 1956, il rencontre François Mitterrand en 1965 et demeure dans le cercle de ses fidèles jusqu’à la mort de ce dernier en 1996 comme il le raconte dans son livre François Mitterrand, le militant : Trente années de complicité (Le Cherche midi, Paris, 2006). En 1973, il est élu député socialiste du Calvados. Quelques années plus tard il travaille avec Roger Quilliot au projet de plan socialiste pour Libérer l’école qui fait l’objet de la présente chronique. On aurait donc pu s’attendre à ce que Mitterrand et Mauroy le choisissent comme ministre de l’éducation mais ils lui préfèrent Alain Savary, réputé fin négociateur. Mexandeau est nommé ministre des PTT et il le restera jusqu’en 1986. En est-il soulagé ou déçu ? En tout cas aucune de ses fonctions ultérieures ne sont liées aux problèmes de l’école. À l’Assemblée nationale il s’occupera de questions économiques dans diverses commissions (1986-2002), sera Secrétaire d’État aux anciens combattants (1991-1993) sous les gouvernements d’Edith Cresson et Pierre Bérégovoy, et prendra finalement sa retraite en 2008 sans être jamais revenu à la politique de l’Éducation. Il est l’auteur de plusieurs ouvrages d’histoire dont Les Capétiens (Marabout, Verviers, 1987), « Nous, nous ne verrons pas la fin » : Un enfant dans la guerre 1939-1945 (Le Cherche midi, Paris, 2003), Histoire du Parti Socialiste : 1905-2005 (Tallandier, Paris, 2005). L’article que Wikipédia lui consacre nous apprend en outre qu’il est « l’un des fondateurs du Club de la chanson paillarde » et qu’il a « collaboré au choix des titres de l’album Le Plaisir des dieux de Pierre Perret qu’il a préfacé ».
- Cette question de l’éducation dans la petite enfance est traitée dans trois chroniques publiées en mars 1972 : n° 79, L’importance des premières années – Empreinte et éducation précoce (20.06.2011), n° 81, L’importance des premières années : dialogue avec nos lecteurs (27.06.2011) et n° 84, La poule et l’âge de raison – L’importance des premières années (suite et fin) (04.07.20111). A. Michel y confirme que l’éducation première « fixe pour la vie le modèle indélébile de ses réflexes d’espèce en donnant leur force aux instincts laissés inachevés par la naissance » mais qu’elle peut être à double tranchant selon le jugement ultérieur porté sur cet éducation : « Vient l’âge de raison. Le garçon, puis l’homme, prend conscience de cette empreinte. L’approuve-t-il ? S’en tient-il heureux ? Alors tout ira bien : il vivra avec bonheur une existence conforme à l’empreinte reçue. Cette empreinte au contraire est-elle liée pour lui à un souvenir douloureux et d’angoisse ? Son instinct alors le portera à l’exécration et à la révolte (…) ». Aimé Michel est souvent revenu sur les questions liées à l’éducation, entre autres dans les chroniques n° 61, La « méthode globale » mise en question (22.03.2010), n° 67, La querelle des programmes (26.04.2010), n° 162, La moulinette qui nous menace – La planification de l’homme sous prétexte de sciences humaines est une escroquerie (10.06.2013), n° 230, Le travail manuel – D’où diable nous vient ce préjugé qu’il n’est d’étude que livresque ? (10.09.2012), n° 292, Le rite d’initiation – L’Éducation nationale atteint-elle ses objectifs éducatifs et sociaux ? (09.09.2013), n° 304, Les bricoleurs de Cambridge – Comment un pays devient-il riche, c’est-à-dire libre, actif, puissant ? (21.07.2014).
- Antonio Gramsci (1891-1937), né en Sardaigne d’une famille de petits fonctionnaires ruinés, fait des études universitaires à Turin en philosophie, histoire et philologie grâce à une bourse. Sa carrière politique commence en 1913 : il adhère au parti socialiste italien et devient rapidement l’un des chef de son aile gauche puis secrétaire du parti. Il méprise autant le positivisme que la catholicisme et entend fonder une nouvelle civilisation sur le socialisme en qui il voit une « religion qui doit tuer le christianisme ». Ses opposants l’accusent d’être plus anarchiste que marxiste. En 1921, le parti socialiste se scinde ; Gramsci devient secrétaire du nouveau parti communiste, section italienne de la IIIe internationale et fonde le journal l’Unità. Député de Turin en 1924, il est déchu de son mandat par le gouvernement fasciste de Mussolini, arrêté en novembre 1926 et condamné deux ans plus tard à vingt ans de prison au cours d’un procès où le ministère public déclare qu’il faut « empêcher ce cerveau de fonctionner pendant vingt ans ». Il endure la captivité avec courage. Ses conditions de détention dans les Pouilles sont très dures et sa santé se dégrade rapidement. En 1932, à la suite de protestations internationales et assuré de sa mort prochaine le gouvernement fasciste le transfère à Civitavecchia, puis à Formia et enfin dans un hôpital de Rome où il meurt d’une hémorragie cérébrale en avril 1937. Autorisé dès 1929 à écrire en prison et à y recevoir livres et revues, il commence la rédaction des Cahiers de prison. Il y note, de manière fragmentaire ou approfondie, ses réflexions sur trois thèmes principaux : l’histoire de la société italienne que le poids de l’Église, la faiblesse de la bourgeoisie et l’attitude des intellectuels ont mis à l’écart des réformes religieuses et des révolutions libérales ; le marxisme comme conception du monde opposée à l’idéalisme et au matérialisme mécaniciste ; enfin, la révolution qui a échoué jusque-là en Occident mais peut réussir en Italie à condition de tenir compte des spécificités du pays. De ces volumineux Cahiers on tirera après la guerre plusieurs ouvrages posthumes sur le Matérialisme historique (1948), les intellectuels (1949), Machiavel (1949) et la littérature italienne (1950). Il en résultera la création d’un véritable mythe politique et intellectuel. Les commentateurs y décèlent « bien avant la lettre, les éléments précurseurs d’un communisme à l’italienne, plus ou moins spécifique, vaguement orienté tant vers un certain eurocommunisme que vers le “compromis historique”… » (Nino Frank, article « Gramsci » du Dictionnaire des auteurs de Bompiani).
- Gramsci voulait changer les mentalités par l’éducation de manière à faire advenir la révolution. À la confrontation de classes entre prolétariat ouvrier et bourgeoisie capitaliste il entendait substituer, selon les mots de J.-M. Berthoud, une « subversion intellectuelle, culturelle et spirituelle des institutions de l’Occident » avec « rejet de toute vision culturelle inspirée du christianisme ». Un prêtre américain, Malachi Martin, résume ainsi la stratégie de Gramsci : « Les Marxistes devaient transformer ce qui restait de la mentalité chrétienne de l’Occident. Cette mentalité devait être changée en son contraire et cela dans tous ses aspects afin qu’elle ne devienne pas seulement non chrétienne, mais antichrétienne. En termes pratiques, elle devait aboutir à ce que les individus et les groupes de toute classe de la société et de route condition sociale parviennent à penser aux problèmes de la vie sans plus se référer de quelque manière que ce soit à la vision transcendante du monde qu’offre le Christianisme et sans la moindre référence ni à Dieu ni à ses lois. Il fallait parvenir à ce que ces chrétiens réagissent avec antipathie, à ce qu’ils manifestent une opposition décidée à toute introduction des idéaux chrétiens ou de la vision transcendante du Christianisme dans 1’examen et les solutions à apporter aux problèmes de la vie moderne. » (M. Martin, The Keys of This Blood. The Struggle for World Dominion between Pope John Paul II, Mikhail Gorbachev, and the Capitalist West, Simon and Schuster, New York, 1991, cité par Jean-Marc Berthoud, L’École et la famille contre l’utopie, L’Âge d’Homme, Lausanne, 1997, p. 218). Le rêve de Gramsci semble s’être réalisé mais par des voies qu’il ne prévoyait pas et sans la Révolution qu’il espérait…
- En France, il existe des écoles publiques, des écoles privées sous contrat avec l’État et des écoles privées hors contrat. Les rapports entre l’État et les écoles privées sont régis par la loi Debré du 31 décembre 1959 (du nom de Michel Debré, alors ministre de l’Éducation nationale par intérim). Toutefois l’État conserve le monopole de la délivrance des grades et des titres universitaires. Les établissements qui le souhaitent peuvent se lier par contrat à l’État et recevoir une aide à condition que les programmes soient les mêmes que dans l’enseignement public (les autres comme le catéchisme sont en option), que des inspections aient lieu et que les enfants ne puissent être refusés s’ils ne partagent pas la même religion que l’établissement. Les enseignants des classes sous contrat sont rémunérés par l’État selon les mêmes grilles indiciaires que les enseignants du public mais sont rattachés au régime général de retraite si bien que leur rémunération nette et leur retraite sont plus faibles que dans le public. Les écoles qui n’ont pas passé de contrat avec l’État sont appelées écoles « libres » dans la mesure où elles sont libres de leurs méthodes pédagogiques, de leurs programmes et du choix de leurs équipes éducatives (mais sont quand même astreintes à l’inspection par l’État). Au total, en 2011-2012 les établissements privés du premier et du second degré scolarisaient environ 2 millions d’élèves (13 % des écoliers et 21 % des collégiens et lycéens) (http://www.education.gouv.fr/cid251/les-etablissements-d-enseignement-prive.html). Les écoles hors contrats ne scolarisent que 60 000 élèves environ dans un peu plus de 700 établissements dont près de 60 % sont non confessionnels, 25 % de confession catholique, 9 % juive, 4 % musulmane et 3 % protestante (http://www.fondationpourlecole.org/fr/articles/les-coles-ind-pendantes.html). Un sondage récent (avril 2014) de l’institut Opinion Way auprès des enseignants et des parents donne une image intéressante de leur ressenti et de leurs attentes. J’y relève que 81 % des enseignants du privé sont satisfaits de leur métier contre 67 % des ceux du public mais que, par contre, 70 % des enseignants du public conseilleraient ce métier à leur enfant contre 65 % de ceux du privé (http://www.opinion-way.com/pdf/opinionway_-_apel_-_metier_d_enseignant_-_avril_2014.pdf). Toutefois, la marge d’erreur pour la taille d’échantillon utilisée (600 enseignants) étant de 2 à 4 points, la première différence de 14 points est plus significative que la seconde. D’autres indications suggèrent que la taille des établissements et la solidarité des personnels (enseignants et administratifs) ne sont pas étrangers à cette différence de satisfaction.