EN DIRECT DU CONCILE : Rénovation liturgique ou révolution ? - France Catholique
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Marie dans le plan de Dieu
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EN DIRECT DU CONCILE : Rénovation liturgique ou révolution ?

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Deux documents de l’autorité ecclésiastique touchant la sainte liturgie, viennent d’apparaître coup sur coup, qui sont appelés à un retentissement considérable. L’un est une réglementation de l’épiscopat français, confirmée par le Saint-Siège, sur l’extension possible de l’usage de la langue vulgaire dans la messe célébrée avec assistance des fidèles, en conformité avec la Constitution conciliaire sur la liturgie1. L’autre, plus important, à la fois par sa portée universelle (dans l’Eglise latine) et pat l’ampleur de son objet, est une instruction pontificale sur l’application générale de la même Constitution, préparée par le Conseil institué par le Saint Père dans ce but et qu’il a chargé la Congrégation des rites de publier.

Disons tout de suite que certains journalistes, avides de sensationnel à bon marché, ont voulu voir, dans ce dernier fait, une sombre machination, destinée à torpiller l’œuvre du Concile, alors qu’il prouve, au contraire, la volonté du Pape de faire entrer aussitôt les décisions essentielles du Concile dans la pratique ordinaire de l’Eglise.

Mais les interprétations fantastiques données des textes en question ne se limitent pas à ce détail. En particulier, avant même que le texte de l’instruction romaine ait été connu, on a vu des organes catholiques affirmer péremptoirement ce qu’elle serait et, maintenant qu’elle est connue et qu’elle n’est pas telle que certains l’avaient imaginée ou souhaitée, d’autres, ou les mêmes, avant d’en publier ou plutôt que d’en citer le texte, tentent de le recouvrir d’emblée par des « commentaires » qui sont, en réalité, des déformations. Nous avons le regret de devoir constater que même des liturgistes de valeur, pourtant d’ordinaire sages et pondérés, paraissent tellement désireux de satisfaire la fringale d’innovations de certains qu’ils ont déjà autorisé de leurs déclarations des glissements, voire des contre-sens, qui risquent de compromettre irrémédiablement la grande réforme en cours.

Un étrange exemple de « rubricisme »

Pour ne donner qu’un exemple, on a dit que l’instruction romaine allait prescrire, et maintenant on répète qu’elle a prescrit d’établir partout des autels « face au peuple », et que ceux qui ne le sont pas devront promptement disparaître. On vient même d’écrire que la vieille pratique chrétienne de prier tourné vers l’Orient, avec l’usage, pour le prêtre, de célébrer en se tenant du même côté où sont les fidèles, devaient maintenant disparaître, comme autant d’archaïsme condamnés par les nouvelles prescriptions. Etrange exemple de « rubricisme ». Pas plus dans le passé qu’aujourd’hui, les rubriques n’ont jamais dit un traître mot de la prière vers l’Orient… tout simplement parce qu’elle est si traditionnelle qu’on n’a jamais pensé devoir la mentionner (les rubriques n’ont jamais dit non plus que seul un prêtre peut présider à l’eucharistie : parce que les nouvelles rubriques ne le disent pas davantage, va-t-on trouver des gens qui enseigneraient que c’est là un archaïsme condamné désormais ?)

Ne rions pas ! La chose pourrait très bien arriver, au point où certains en sont aujourd’hui ! Et, sur la position de l’autel et du célébrant, l’instruction se borne à rappeler ce qui s’est toujours trouvé dans le Missel romain ou le Cérémonial des Evêques :

1° l’autel majeur d’une église doit de préférence (praestat) ne pas être accolé immédiatement au fond de l’église, de sorte qu’on puisse en faire le tour ;

2° de la sorte, aussi, on peut y célébrer « face au peuple » (ce qui a toujours été et reste simplement permis) ;

3° il doit, non pas être situé au centre géométrique de l’édifice, mais, ce qui est tout différent, « occuper un lieu tel qu’il soit le centre où l’attention de toute la congrégation des fidèles se tourne spontanément » (cum occupet locum ut revera centrum sit quo totius congrerationis fidelium attentio sponte dirigetur).

Glissement et contre-sens

On regrette de devoir commencer par préciser ces points qui, en eux-mêmes, paraissent de vétilles. Mais on y est bien obligé, puisque certaines obsessions actuelles s’y sont d’emblée concentrées, pour les défigurer. Les conséquences possibles, en effet, de ces glissements de sens, ou complets contre-sens, sont déjà sous nos yeux.

Trois mois avant que paraisse l’instruction romaine, un architecte des monuments historiques qui a sauvé d’innombrables églises à demi ou plus qu’à demi-ruinés par la guerre, m’écrivait pour m’exprimer ses craintes et son désarroi. De nombreux prêtres des régions où il exerce son activité, me disait-il, le sommaient, au nom des « exigences pastorales » et de l’instruction romaine, telle qu’on la supputait devoir se révéler, de les laisser abattre et démanteler les retables de leurs églises, voire y envoyer à la « casse » leurs autels consacrés, pour y substituer, au beau milieu de l’église, hors du sanctuaire, un autel face au peuple.

Je précise, d’une part, que l’architecte en question, loi d’être un simple archéologue, est à la fois un excellent chrétien et un homme d’une culture religieuse qui l’emporte de loin, je le crains, sur celle de ses cléricaux adversaires. Et je dois ajouter, d’autre part, que dans un des diocèses au moins de la région considérée, il y a, au séminaire même, une équipe de « casseurs » qui se met au service des curés pour détruire, avec ou sans autorisation épiscopale ou administrative, tout ce qui leur déplaît (l’avis des fidèles eux-mêmes, en notre temps où le « mythe du laïcat » est à son comble, n’étant, bien entendu, même pas demandé).

N’y a-t-il pas, me dire-vous, dans ce diocèse, une commission d’art sacré ? Si, bien sûr, mais comme dans plus d’un diocèse, hélas ! elle est composée principalement des responsables ou des complices de ces destructions. Car, là comme ailleurs, trop souvent, les demi-savants péremptoires sont préférés aux gens réellement compétents, tandis que de véritables bandes d’aigrefins, marchands d’antiquité véreux, pourchassés en vain par les services des monuments historiques, s’appuient sur l’ignorance d’une trop grande partie du clergé et, il faut le dire, sur la vénalité de quelques-uns, pour faire des rafles qui n’ont jamais eu d’équivalent dans le passé, même aux pires jours des « bandes noires ».

C’est ainsi que les retables en pièces détachés vont donner un fumet d’archaïsme (très apprécié actuellement) aux salons des nouveaux riches, les vieux antiphonaires deviennent des boites à cigares et les tabernacles des tables de nuit ! Tout ceci, bien entendu, au nom de la « pauvreté »… Nul n’a le droit de vendre ce qui ne lui appartient pas, fût-ce pour acquérir une télévision communautaire qui permettra de contempler le Critérium du Dauphiné Libéré, le Tour de France ou les concours de bikinis, plus « pastoraux » qu’un bréviaire « tragiquement inadapté ».

Qu’on nous pardonne de donner ici libre cours à une indignation et une inquiétude qui ne peuvent plus se contenir ! Le signataire de ces lignes a été un des premiers en France à prendre une part active au mouvement liturgique pastoral de l’après-guerre. Il est plus que jamais convaincu de sa nécessité. Il demeure persuadé que la Constitution conciliaire, avec les textes d’application que l’autorité vient de fournir, peut permettre à ce mouvement de porter tout son fruit.

Mais il est d’autant plus scandalisé de voir une petite faction intolérante et sans scrupule de prêtres incultes mais arrogants, méprisants pour toute une tradition qu’ils ignorent, faisant fi des sentiments les plus légitimes des fidèles, mais intéressés seulement par les modes les plus superficielles, non seulement liquider précipitamment tous les trésors de l’art religieux français, mais chercher à remplacer le culte traditionnel de l’Eglise par un mélange de didactisme assommant et puéril et de « manifestations de masse », copies dérisoires de meetings politiques, tout cela sous prétexte d’ « adaptation pastorale ».

Ces gens-là, avec la passivité apeurée de trop d’hommes d’églises plus sérieux, mais qui ont peur de ne pas être soutenus s’ils osaient parler franc, jouent sur l’absence de formation d’une trop grande part du clergé, dont on voit aujourd’hui le triste résultat, pour imposer des interprétations gauchères ou complètement faussées, des textes conciliaires, romains ou épiscopaux, et entraîner, non pas à la réforme que tout le monde souhaite, mais à une révolution simplement destructrice du passé.

Si nous ne voulons pas qu’on nous impose un christianisme sans mystères, sans prière, sans adoration, où tout ce qui est beau et désintéressé soit impitoyablement banni, au profit d’un creux verbiage, noyant dans sa rhétorique intarissable des « assemblées » mobilisées simplement pour chanter des rengaines et se mouvoir en cadence, à la façon des foules du Sportpalatz ou de la Place Rouge, il est grand temps de réagir. Et la réaction salutaire ne peut être que celle d’un retour au vrai. Pour commencer, il ne faut pas faire dire aux textes de l’autorité autre chose, voire le contraire, de ce qu’ils disent.

Ce que le décret des évêques de France nous donne, ce n’est pas n’importe quelle liturgie en langue vulgaire, où tout prêtre ait le plein pouvoir désormais de répandre son flot de paroles impréparées, sans plus de barrière, sur la tête des fidèles : c’est une liturgie où la Parole de Dieu, et non celle de l’homme, même curé, ou vicaire, ou aumônier, soit remise à la première place. Et ce que l’instruction romaine nous prescrit, c’est d’abord une liturgie qui soit non une improvisation perpétuelle d’un clergé ne connaissant plus de règle à sa fantaisie, mais la liturgie traditionnelle, rendue à sa pureté et sa plénitude.

Pour ce faire, après avoir donné des ordres précis pour que les prêtres soient enfin préparés solidement à une tâche qui ne peut s’improviser, et pour que la liturgie qu’ils auront appris à connaître et à pratiquer soit enfin célébrée comme elle doit l’être, le Saint Siège formule une série de prescriptions, touchant principalement l’organisation des lieux de culte en fonction du culte bien compris, la proclamation de la Parole de Dieu et la prière qui doit y répondre, et surtout la célébration commune de l’eucharistie.

Ces prescriptions devraient être la base d’un vrai renouveau de la tradition et la digue la plus efficace contre l’anarchie qui risque aujourd’hui, tout au contraire, d’en faire table rase. Il n’est, encore une fois, que de lire les textes honnêtement, sans idées préconçues, étrangères ou sourdement hostiles à leur véritable orientation. C’est ce que nous essaierons de faire dans un second article.

Louis BOUYER