En contemplation - France Catholique
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Funérailles catholiques : un temps de conversion
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En contemplation

Benoît XVI poursuit son ministère, d’une façon nouvelle, que l’Esprit lui a inspirée, en fidélité à cette parole du Christ ressuscité au pêcheur de Galilée : « Quand tu étais jeune, tu mettais toi-même ta ceinture, et tu allais où tu voulais ; quand tu auras vieilli, tu étendras les mains, et un autre te ceindra et te mènera où tu ne voudrais pas » (Jean 21, 18). Il part en éclaireur sur une route inconnue..
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En annonçant la fin de son pontificat le 11 février, le Pape nous a caché un autre message derrière sa décision : il l’a signée du 10  février. Sainte Scolastique, certes. Mais le Pape a donné lui-même la clef de sa décision ce dimanche-là, après l’angélus, semble-t-il. Le Pape a souhaité une heureuse année aux peuples d’Asie qui entraient dans l’Année du Serpent — symbole de sagesse —, et spécialement aux catholiques du continent.

Il a souhaité « que l’aspiration à une vie heureuse et prospère puisse s’accomplir pour ces Peuples. […] Cette circonstance joyeuse célèbre, a-t-il souligné, les valeurs universelles de la paix, de l’harmonie et de la reconnaissance envers le Ciel, valeurs désirées par tous pour construire sa famille, la société et la nation ».

Benoît XVI s’est adressé « aux catholiques de ces pays, afin qu’en cette Année de la foi, ils se laissent guider par la sagesse du Christ ». Sagesse préfigurée par le Serpent de l’Extrême-Orient dont le bestiaire n’est pas celui de l’Occident.

Qu’en tirer ? Simplement peut-être qu’au moment où Benoît XVI prend cette décision « pour le bien de l’Église », son regard se tourne vers l’évangélisation de plus de quatre milliards d’habitants de l’immense continent.

Le Pape inscrit sa décision dans le mouvement de la nouvelle évangélisation qu’il a appelée de ses vœux au point d’y consacrer un synode et de créer un nouveau dicastère pour la stimuler, la « promouvoir ».

Et puis, que fait le Pape ? Deux choses. D’une part, selon l’expression d’une journaliste italienne, il met « son bureau en ordre ». Le pape continue de donner des évêques et des nonces aux pays qui n’en ont pas. Il crée même un diocèse au Congo.

Il épargne à l’Église la longue attente de pasteurs qui a caractérisé les derniers mois du pontificat précédent, il épargne à la Curie ces mois douloureux de l’agonie d’un pape où les rouages du gouvernement universel de l’Église souffrent. La leçon héroïque de Jean-Paul II est irremplaçable, et ne saurait se répéter. Benoît XVI, lui, laisse les affaires en ordre et offre ce faisant un autre enseignement.

D’autre part en effet, il maintient la retraite au Vatican. Au moment de se retirer, comment mieux souligner le sens de sa décision ? Le Pape montre le chemin de la prière, de la prière des psaumes, de la prière d’adoration du Christ dans l’Eucharistie. Cette adoration silencieuse du Christ présent jusqu’à la fin des temps qu’il a osé proposer, au début de son pontificat, à des centaines de milliers de jeunes rassemblés à Cologne, en août 2005.
Il achève la retraite en disant, en cette Année de la foi : « Croire n’est rien d’autre que, dans l’obscurité du monde, toucher la main de Dieu, et ainsi, dans le silence, écouter la Parole, voir l’Amour. »

Le Pape se retire, mais reste au milieu des siens comme celui qui dans le silence « touche la main de Dieu », « écoute sa Parole », pour « voir l’Amour ». Cette lutte dans la prière, pour l’Église, voilà le nouveau combat de Benoît XVI.

Il est significatif que sa nouvelle demeure, sur la colline du Vatican, domine même la basilique Saint-Pierre, et que ce soit l’ancien monastère Mater Ecclesiae où différentes communautés contemplatives se sont relayées pendant des décennies. Voilà où se situe, géographiquement et spirituellement, l’avenir de Benoît XVI, comme le veilleur sur les remparts — les murs léonins contre lesquels s’arc-boute la maison — , scrutant l’aurore, comme pour hâter sa venue.

Il remercie le cardinal prédicateur, Gianfranco Ravasi, d’avoir indiqué le chemin aux retraitants de façon à les rendre « toujours plus capables de prier, d’annoncer, d’être des témoins de la vérité, qui est belle, qui est amour ».

Il dit qu’il se retire et en même temps demeure : « Même si la communion « extérieure », « visible » s’achève maintenant – comme l’a dit le cardinal Ravasi – il reste la proximité spirituelle, il reste une communion profonde dans la prière. Avec cette certitude, nous allons de l’avant, sûrs de la victoire de Dieu, sûrs de la vérité de la beauté et de l’amour. »

Au président de la République italienne, Giorgio Napolitano, il dit ce que tous les journaux ont immédiatement repris : il « continue de prier pour l’Italie. »
C’est donc dans cette « herméneutique de la continuité » qu’il faudra comprendre peu à peu la portée du geste de Benoît XVI, et non de la « rupture » pour paraphraser sa façon d’interpréter le concile Vatican II. Benoît XVI n’est pas l’homme de la rupture mais de la continuité, de l’unité, de la communion. Unité de l’Église et de sa propre vie, selon la dynamique — qui lui est chère — indiquée par saint Augustin : de l’extérieur à l’intérieur, de l’inférieur au supérieur.

Il l’a dit à l’angélus, le dimanche 23 février, devant des centaines de milliers de visiteurs, venus manifester leur gratitude, parfois du nord de l’Allemagne. Avec les apôtres accompagnant le Christ au Thabor, il confie : « Le Seigneur m’appelle à « monter sur la montagne », à me consacrer encore plus à la prière et à la méditation. »

Continuité et non pas « abandon » : cela « ne signifie pas abandonner l’Église », mais « continuer à la servir avec le même dévouement et le même amour avec lesquels j’ai cherché à le faire jusqu’ici, mais de façon plus adaptée à mon âge et à mes forces ».

Au retour de Cuba, en mars dernier, le Pape a compris qu’il ne pourrait plus faire de voyage transatlantique, qu’il ne pourrait pas aller à Rio pour la JMJ de juillet prochain. Mais c’est le rendez-vous du Pape et des jeunes du monde entier : un autre devra y aller. Cet été, Peter Seewald a rencontré le Saint-Père une heure et demie et a vu son extrême fatigue.

Reste un courage aussi héroïque que celui de Jean-Paul II, et un enseignement aussi fort, dans une nouvelle direction : ce qui reste d’un pontificat, c’est la sainteté, comme il l’a fait observer à propos d’un saint Pierre Célestin V en 2010. Ne rien préférer à l’amour du Christ qui appelle. Même le sommet du pouvoir. Et il avait déposé le pallium de l’inauguration de son pontificat auprès de la dépouille du pape moine, qui a renoncé à son ministère en 1294 pour prier. Dante l’a mis en enfer. Benoît XVI le canonise en quelque sorte une seconde fois en exaltant sa sainteté et sa vie cachée en Dieu, la grandeur d’un pontificat de cinq mois. La Providence n’a-t-elle pas protégé sa dépouille — abritée par la basilique de Collemaggio — des violents séismes qui ont détruit L’Aquila, au XVIIIe siècle et en 2009 ?

Reste une décision de raison, pour ce pape qui a exhorté sans cesse à allier foi et raison : la foi sans la raison donne naissance au fanatisme, à l’intégrisme, à la déraison. La foi sans la raison se retourne contre la foi et contre l’homme.

Reste un signe pour ce bimillénaire de l’Église : le moteur de la nouvelle évangélisation, c’est la prière. Le don de la vie de Benoît XVI à la nouvelle évangélisation se traduit par cette nouvelle forme que prend son ministère : il se fait veilleur. Continuité, et non rupture. Non pas activisme mais prière, condition sine qua non pour grandir dans l’amitié avec le Christ  : c’est le grand enseignement de Benoît XVI à toute l’Église, à chaque baptisé. Les évêques réunis en synode en octobre dernier à Rome ne disaient pas autre chose : « L’agent principal de l’évangélisation, c’est l’Esprit-Saint qui ouvre les cœurs et les convertit à Dieu. L’expérience de la rencontre avec le Seigneur Jésus, rendue possible par l’Esprit qui nous introduit dans la vie trinitaire, et accueillie dans un esprit d’adoration, de supplication et de louange, doit être fondamentale dans tous les aspects de la nouvelle évangélisation. C’est là la « dimension contemplative » de la nouvelle évangélisation qui se nourrit sans cesse de la prière, à commencer par la liturgie, en particulier l’Eucharistie, source et sommet de la vie de l’Église » (Proposition 36).

Le Pape venait de donner à l’Église deux nouveaux Docteurs, Jean d’Avila et Hildegarde de Bingen, Docteurs de vie d’union au Christ, de vie mystique. Lui-même a préparé l’Année de la foi par une série de catéchèses qui sont une véritable école de prière, vrai testament spirituel.

Et il concluait le synode, le 28 octobre 2012, par cette invitation de Clément d’Alexandrie : « Enlevons les ténèbres qui, comme un brouillard pour les yeux, nous empêchent de voir, contemplons le vrai Dieu… ; car une lumière du ciel a brillé sur nous qui étions plongés dans les ténèbres et prisonniers de l’ombre de la mort, [une lumière] plus pure que le soleil, plus douce que la vie d’ici-bas. »