Émousser les principes simples de la foi - France Catholique
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Émousser les principes simples de la foi

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Dans un article d’il y a quelques semaines, j’appelais l’USCCB (Conférence des évêques catholiques des États-Unis, ndt) à planter un pieu dans le cœur encore battant de la terrible Nouvelle Bible Américaine (NBA) – et du lectionnaire qui en découle. J’y disais que je voudrais discuter de plusieurs catégories d’erreurs qui s’y trouvent. La première est la triste préférence de la NBA pour ce qui est abstrait plutôt que ce qui est visible et palpable. La deuxième catégorie est celle-ci : la dérive idéologique, inutile autant pour comprendre la Bible que pour inspirer ou renforcer la foi.

Le bon traducteur ou rédacteur doit consumer dans son âme les paroles du Baptiste : « Il faut qu’Il croisse et que je diminue ». Rien ni personne ne doit faire obstacle entre le lecteur et le texte. Cela ne signifie pas que vous ne tirerez pas profit des commentaires. Mais le commentaire doit toujours viser à élucider, à ne pas confondre, et jamais à imposer au lecteur la vague autorité de « savants », qui ne sont souvent qu’un petit club de personnes aux vues similaires.

La NBA viole cette directive à chaque passage.

Considérons le tout début de la Genèse : « Au commencement, Dieu créa le ciel et la terre. » C’est déjà mauvais que l’on ne puisse pas y arriver sans un « titre », « L’histoire de la création », qui sera suivi par d’autres titres et sous-titres, et la séparation du texte en blocs, non pas pour en facilité la visualisation, mais du fait de décisions éditoriales concernant la présentation – ce qui va avec quoi et ce qui n’y va pas. La puissante première phrase que j’ai citée n’existe pas dans la NBA. Elle est dans la Septante et dans la Vulgate de Jérôme. Elle est dans toutes les autres versions modernes des Écritures que l’on peut trouver, en anglais, allemand, espagnol, français, portugais, italien, gallois, suédois et islandais. Elle n’est pas dans la NBA.

Que s’y trouve-t-il ? Un accident de train grammatical :

Au commencement, quand Dieu créa les cieux et la terre – et la terre était informe, avec des ténèbres au-dessus de l’abîme et un vent puissant qui balayait les eaux -, alors Dieu dit : Que la lumière soit, et la lumière fut.

Que signifient ce quand suivie de alors ? Les rédacteurs expliquent : « Jusqu’à l’époque moderne, la première ligne était toujours traduite : « Au commencement, Dieu créa les cieux et la terre. » Plusieurs cosmogonies antiques comparables, découvertes ces derniers temps, ont une construction « quand… alors », confirmant la traduction « quand… alors » ici aussi. « Quand » introduit l’état de pré-création et « alors » introduit l’acte créatif affectant cet état. La traduction traditionnelle, « Au commencement », ne reflète pas la syntaxe hébraïque de la phrase. »

Il est étrange que les locuteurs de l’hébreu qui ont composé la Septante ne l’aient pas vu de cette façon, et Saint Jérôme non plus. Tout ce que l’on peut dire, c’est que l’on pourrait le lire comme le font les éditeurs, mais que ce n’est pas nécessaire ; la lecture traditionnelle est littérale, ce qui rend le sens clair du texte. Pourquoi alors ne la suivrait-on pas ?

Les éditeurs se trahissent quand ils évoquent les « cosmogonies anciennes comparables », récemment découvertes, tout en négligeant de mentionner qu’il s’agissait de cosmogonies païennes : l’Enûma Elish babylonienne (Épopée de la Création, ndt), bien évidemment. Tout l’intérêt de la Genèse est qu’il n’y a pas de cosmogonie ancienne comparable. C’est là sa gloire.

Partout ailleurs, la cosmogonie est précédée de la théogonie, la naissance des dieux. Pas ici. Partout ailleurs, l’esprit de l’homme qui fabrique les mythes se concentre sur l’origine à partir de laquelle le monde serait fait ; par exemple, les membres démembrés de la déesse-mère babylonienne maligne Tiamat. Pas ici.

Ici, la terre, faite par Dieu mais sans encore lui donner de caractère, est tohu-va-bohu, une excellente paire de rimes en hébreu. Ces mots ne décrivent pas seulement quelque chose sans forme, comme de la gelée. Ils sont plus puissants que cela, moralement et ontologiquement : l’informe, la confusion, l’irréalité, le vide, dit le lexique hébreu primaire, traduisant le tohu et montrant comment ce sens s’étend à ce qui est vide, irréel, sans valeur, comme l’irréalité morale ou le mensonge.

Le « wüst und leer » de Luther (qui sait et qui est vide, ndt) fait passer le message, tout comme le « void and empty » de Douay, qui suit l’« inanis et vacua » de St Jérôme. L’auteur sacré n’avait pas de vocabulaire métaphysique ; nous avons ici sa façon la plus puissante d’affirmer que sans la volonté créatrice de Dieu, il y a ce qui est pire que la simple absence.
Il semble donc que les éditeurs veuillent saper la foi. Ils disent sournoisement : « Et l’Église a-t-elle dit que Dieu a fait le monde à partir de rien ? Peut-être bien, mais nous ne le trouvons pas dans le texte. »

Nous voyons le même motif dans leur virage inhabituel vers le physique plus loin dans la phrase, lorsqu’ils disent qu’un « vent puissant qui balayait les eaux ». Conscients qu’ils modifient le texte, ils relèguent la signification littérale à une note de bas de page : Un vent puissant : littéralement, « esprit ou souffle [ruah] de Dieu » ; cf. Gn. 8 :1. La référence à 8 :1 n’est pas pertinente, car l’hébreu n’y lit pas ruah Elohim, esprit de Dieu. Là, ruah signifie simplement vent, comme c’est souvent le cas ; Dieu fait se lever un vent pour régler les mers après le déluge. Mais ruah en général signifie souffle, vent, esprit, en référence au principe de vie, ou à la volonté, au désir, au tempérament. C’est alors une image extraordinaire de ce que l’esprit, le souffle, la puissance de Dieu se déplacent, planent ou couvent au-dessus des eaux.

Telle est l’action, mais l’équipe de la NBA, ayant décidé de donner un coup de coude à Dieu de sa place, en nous donnant ce « vent puissant », ne pouvait pas alors traduire le verbe comme ayant à voir avec un mouvement doux, ou avec chérir et couver, comme le lexique hébreu l’aurait eu. Nous avons donc balayer à la place. Au lieu que Dieu s’implique intimement dans ce qui est autrement sans signification, nous L’avons comme spectateur intéressé, regardant un ouragan ou quelque chose du même genre, puis décidant de faire quelque chose à ce sujet.

En d’autres termes, ils ont émoussé la nouveauté bouleversante du texte sacré, étouffant les idées théologiques profondes et le réduisant à un conte de fées. Ils l’ont rendu moins poétique, et plus ordinaire, quotidien et ennuyeux. Ils utilisent toutes les excuses scolaires qu’ils peuvent pour offenser les principes simples de la foi.

Scènes de la Genèse par Wiligelmo, v. 1110 [Cathédrale Saint Géminien, Modène, Italie]

Source : https://www.thecatholicthing.org/2019/10/06/blunting-the-straightforward-tenets-of-the-faith/

Anthony Esolen est conférencier, traducteur et écrivain. Parmi ses livres, il y a Out of the Ashes: Rebuilding American Culture (« Sortir de la cendre : reconstruire la culture américaine »), Nostalgia: Going Home in a Homeless World (« Nostalgie : rentrer à la maison dans un monde sans abri »), et plus récement The Hundredfold: Songs for the Lord. (« Le centuple : chants pour le Seigneur »). Il est professeur et écrivain à la Faculté de lettres de Magdalen à Warner, New Hampshire.