Nos auditeurs savent que cette chronique se réfère souvent aux débats intellectuels en cours. C’est question de tempérament et de goût. Je ne sais si, selon l’expression consacrée, les idées continuent à mener le monde. Certains sont plutôt d’avis que ce sont les intérêts, et les intérêts commandent à des rapports de force. On peut tenir bon en défendant une primauté de la pensée qui permet d’évaluer les phénomènes historiques avec d’autres mesures, celles qui se rapportent au bien supérieur des individus et des sociétés. C’est dans cet esprit que j’ai accueilli la dernière provocation d’Emmanuel Macron, qui est sans conteste un esprit indépendant par rapport à son propre camp. Il vient de jeter un défi bien intéressant à ses amis, en prétendant que le libéralisme serait de gauche. C’est un propos judicieux qui permet de considérer les choses autrement qu’avec une règle à calcul.
Ce propos a des aspects qui relèvent de l’histoire de la philosophie politique. Au XIXe siècle, les penseurs libéraux ont souvent été classés à gauche, ce qui, a posteriori, nous surprend mais peut se justifier aisément. La difficulté, c’est que nous sommes très loin du XIXe siècle et que le libéralisme est aujourd’hui complètement identifié à sa désinence économique. Emmanuel Macron devrait sans doute préciser ce qu’il entend par libéralisme de gauche et s’il s’agit d’abord d’un ralliement intégral aux règles du marché. Mais il y a un autre aspect à considérer, et qui est abordé par François-Xavier Bellamy au Figaro d’hier. Il concerne l’émancipation de l’individu, détaché de tous les tabous, de tous les héritages et même de sa propre nature. C’était le projet clairement énoncé par Vincent Peillon, ancien ministre de l’Éducation nationale.
Je ne pense pas qu’un Alexis de Tocqueville se retrouverait dans pareil projet, comme je doute qu’il aurait adhéré à ce qu’on appelle l’ultra-libéralisme. Raymond Aron, son disciple contemporain, se situait aussi dans un autre espace. Raison de plus pour analyser la provocation d’Emmanuel Macron, en creusant la question. S’agit-il vraiment, comme le dit François-Xavier Bellamy, de se débarrasser de tout notre héritage dans une logique de déconstruction à laquelle je trouve personnellement une forte saveur de nihilisme.
Chronique diffusée sur Radio Notre-Dame le 1er octobre 2015.