Emile Poulat (paru dans FC n°3154 du 27 février 2009) - France Catholique
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100 ans. Donner des racines au futur
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Emile Poulat (paru dans FC n°3154 du 27 février 2009)

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17 NOVEMBRE

Émile Poulat, dans la dédicace de ses entretiens avec Danielle Masson (France chrétienne, france laïque, DDB), m’écrit qu’il s’agit d’ « un testament intellectuel et spirituel »? Je le crois volontiers, ne serait-ce qu’en appréciant la manière dont il fait le bilan de ses propres travaux et dont il communique toute une sagesse conquise au cours d’une vie bien remplie. Mais, avant même d’aborder, cet aspect testamentaire, j’aurais envie de le suivre sur le terrain de la situation du christianisme à l’époque moderne. C’est un sujet immense sur lequel notre historien-sociologue n’a cessé de réfléchir et de donner à penser à ses fidèles lecteurs.
Et puisqu’il faut bien prendre les choses par un bout, citons Émile Poulat caractérisant la société post-chrétienne d’aujourd’hui : « la société est organisée sans besoin de Dieu, ni réflexion sur lui : elle est économiquement déchristianisée. Tout chercheur, tout savant, vit dans un monde dont le système mental exclut Dieu ; la science l’exclut par principe et par méthode. Quand des générations entières fonctionnent sur ce modèle, on peut parler, dans cet ordre, de fin du christianisme. »
N’y a-t-il pas là une saveur toute Comtienne, la reconnaissance d’une entrée irrévocable dans le troisième état, l’état positif, scientifique, sanctionnant la fin des âges religieux et métaphysiques ? Cependant, Émile Poulat ajoute un correctif qui rend les choses plus énigmatiques : « Ce monde est naturellement déchristianisateur, mais sait-il où il va, ce qu’il fait et ce qu’il veut ? Non. Sa grande limite est son aveuglement sur lui-même. À une époque où la conscience est valorisée à l’extrême, il y a une contradiction interne à ce monde qui n’a pas conscience de lui-même. » Contrairement à la proposition dogmatique d’Auguste Comte, ce monde ne serait donc pas sereinement athée, livré sans complexe à sa positivité scientifique.

Je suis frappé par le raidissement de certains, dès que leur orthodoxie matérialiste est en cause, fût-ce par une simple individualité, une teilhardienne osant avancer, par exemple, une hypothèse qui n’est pas dans la stricte orthodoxie darwinienne, bien que sérieusement fondée scientifiquement. La malheureuse est vouée aux gémonies du fondamentalisme. Loin de la sérénité scientifique, on a tôt fait de se lancer dans la polémique idéologique. A contrario, ce que dit aussi Émile Poulat sur l’impossibilité, pour la mouvance athée de s’affirmer en force cohérente, pour l’Union rationaliste de dépasser ses quelques centaines d’adhérents. C’est aussi que le positivisme a été dépassé, par l’éclatement individualiste et ce qui en résulte pour les systèmes idéologiques. Gilles Lipovetsky a appelé cela l’ère du vide.

Qu’en conclure ? Sans doute une certaine prudence. Toute théorisation pèche toujours par un biais ou par un autre. Cela explique, pour une part, la difficulté de notre post-modernité à renouveler les totalisations de la modernité, notamment ses philosophies de l’Histoire. Et, contrairement à Auguste Comte, qui pensait, qu’il fallait dépasser le stade critique qu’il identifiait d’ailleurs à l’âge métaphysique, il semble que le temps est revenu de l’omniprésence d’une méfiance qui corrode toute certitude, toute appartenance tranquille. Il est vrai que cette méfiance corrosive s’oppose d’abord à ce qui est censé menacer ou avoir menacé votre identité propre. Intranquillité donc mais incertaine d’elle-même.

21 NOVEMBRE

Émile Poulat est rebelle aux trop grandes théorisations, il préfère revenir sans cesse à l’expérience et à son humilité, plutôt que survoler le terrain comme si on tenait toutes les clés d’interprétations d’avance. Je suis tenté de le suivre là-dessus. Il faut faire très attention lorsqu’on se risque à des vues générales à travers le temps et l’espace, en s’estimant autorisé à prévoir le futur. Je viens d’en faire le constat en reprenant le Mounier de Feu la chrétienté, un essai qui se rapporte étroitement aux conversations de notre historien avec Danielle Masson et qui est d’ailleurs cité par cette dernière. Voilà une trentaine d’années que je ne l’avais pas rouvert, exactement depuis que je m’étais intéressé à la polémique assez virulente entre Mounier et Bernanos d’aussitôt après la guerre. C’est la question de l’évolution historique du christianisme qui m’a incité à reprendre ce recueil d’étude sous la couverture bleue et blanche du Seuil. Si j’en avais eu le loisir j’aurais tout relu d’un bout à l’autre, la plume à la main, car tout m’y intéressait. J’ai simplement opéré des incursions là où il me semblait que l’intérêt était le plus vif. J’en suis sortie avec des impressions mêlées…

(à suivre)