En assistant samedi après-midi, sur le parvis de la cathédrale Notre-Dame de Paris, au lancement de l’opération Avent 2014, je ne pouvais m’empêcher de penser à l’histoire de l’évangélisation de la France. Si, à l’initiative du cardinal Vingt-Trois, les catholiques de la capitale sont invités à aller annoncer la bonne nouvelle de l’avènement de Jésus à tous les Parisiens, c’est que la tâche est toujours à reprendre, sinon à recommencer. Recommencer, sans doute oui, parce que la découverte du mystère chrétien est toujours à refaire comme une nouveauté absolue. Le père de Lubac aimait citer la formule de saint Irénée de Lyon : « Avec lui-même, il a apporté toute nouveauté. » La foi est une perpétuelle aventure, qui ne saurait être l’affaire de ce que Charles Péguy appelait « les âmes habituées », c’est-à-dire les âmes satisfaites, repues ou endormies. Cela ne veut pas dire qu’il faut tenir pour rien l’épaisseur d’une tradition, la trame d’une histoire. Face au superbe vaisseau de Maurice de Sully, comment se laisser aller à l’ingratitude pour ce que le passé nous a offert et transmis ?
J’avais ces idées en tête, lorsque j’ai appris la mort de mon ami Émile Poulat, que je connaissais depuis fort longtemps et dont toute l’œuvre consiste en une mémoire réfléchie de ce passé. Il est vrai que l’historien était spécialiste de ses strates les plus récentes. Il avait lui-même participé à l’épopée des prêtres ouvriers et vécu les séquelles de la crise moderniste. En même temps, comme universitaire il avait eu le sentiment vif, et même douloureux, de la fin d’une certaine culture chrétienne, parce qu’elle avait été oubliée à travers une rupture de civilisation. Il la comprenait d’autant mieux qu’il côtoyait des personnes étrangères à cette culture, qui refondaient un autre monde. Quant à lui, il avait gardé sa foi vivante et se reconnaissait dans la communauté Sant’Egidio, dont le fondateur, Andrea Riccardi, avait été son étudiant très proche. Laurent Larcher dans La Croix, cite le mot par lequel Émile Poulat définissait l’esprit de Sant’Egidio : « La prière, les pauvres, la paix. » C’était pour lui le témoignage le plus authentique de la foi au Christ dans le temps présent. En quoi il s’inscrivait lui-même dans la continuité de l’histoire de l’évangélisation.
Chronique diffusée sur Radio Notre-Dame le 24 novembre 2014.