Eloge du courage - France Catholique
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Le martyre des carmélites
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Eloge du courage

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L’écrivain et dissident russe Alexandre Soljenitsyne désespérait de beaucoup de choses. Parmi celles-ci, et non la moindre, le courage qui manquait aux élites, politiciens, hommes d’affaires et autres intellectuels. Il savait que leur lâcheté finirait par se propager au commun des mortels.

Comme toutes les vertus, le courage est une habitude qui se forge par des actes répétés tout au long d’une vie. De même qu’on entretient un muscle en le faisant travailler régulièrement, de même en va-t-il pour toutes les vertus. Mais le courage peut aussi se perdre.

Chacun de nous, à certains moments de sa vie, a manqué de courage. Je revois encore, quarante ans après, un ballon de basket rebondir à plusieurs reprises entre deux arrières de l’équipe adverse, à deux ou trois mètres devant moi, presque à portée de main. En choisissant le moment opportun, il m’aurait suffit de quelques enjambées et d’une prise de balle assurée pour me retrouver avec le champ libre face au panier adverse. Mais je suis resté figé sur place, et n’ai jamais attrapé ce ballon. Cela peut sembler dérisoire, mais c’est un moment de lâcheté qui continue à me hanter aujourd’hui encore.

Ce fut encore pire la semaine suivante. L’entraîneur, qui voulait envoyer un remplaçant, regarda en direction du banc. Son regard croisa le mien – et je détournai le regard. Je restai les yeux baissés et détournés. Message reçu. Dans le vestiaire, il nous déclara que toute personne qui n’avait pas envie de jouer devait quitter l’équipe. Ce que je fis. Quel lâche. Abandon et lâcheté vont de pair. « Laisser tomber » est une habitude facile à prendre et difficile à briser.

Je repense souvent à cet homme, Lenny Skutnik. Alors qu’il conduisait près du pont de la 14ème rue à Washington, il apprit par la radio qu’un avion de passagers venait de s’écraser dans l’eau glacée de la rivière Potomac. Il se faufila parmi les véhicules arrêtés, stoppa sa voiture à proximité de la rive et en descendit. Il vit l’eau glacée, l’avion submergé en train de couler, le débri d’aile qui flottait, les passagers qui s’y agrippaient. Il vit une femme attraper le filin de sauvetage largué de l’hélicoptère de police, puis le lâcher et retomber à l’eau, n’ayant plus la force de s’y agripper. Réalisant qu’elle allait se noyer, il ôta vivement ses bottes et son manteau et plongea dans la rivière glacée pour lui porter secours. Grâce à son courage, cette femme survécut.

Une vie de lâchetés et d’abandons ne vous prépare pas à ce genre de situation. Ce jour-là, les nombreux autres témoins de la scène eurent tous de bonnes raisons pour rester bouche bée et les bras ballants. Mais pas Skutnik. Il a plongé. Comment s’était-il préparé à ce genre de situation ?

Je crois savoir pourquoi à l’époque je ne m’étais pas jeté en avant pour conquérir ce ballon – et la gloire (certes passagère) qu’il m’eut presque certainement apportée. La peur que j’ai expérimentée n’était pas de même nature que cette peur physique, ressentie par les centaines de personnes restées debout à regarder Skutnik sans chercher à l’aider. La peur que j’ai éprouvée, c’était la crainte de l’humiliation, peut-être le type de peur le plus répandu à notre époque.

Qu’arriverait-il si je m’élançais et manquais le ballon ? Et si je prenais le ballon mais manquais un tir facile ? Et si je me faisais reprendre le ballon ? Et si on se moquait de moi ? Et si … ? Autant ne rien faire.

Encore aujourd’hui, je ne suis toujours pas à l’abri d’une récidive. L’autre jour un ami conservateur présentait son nouveau livre sur le thème de la souveraineté nationale devant le Council on Foreign Relations (Conseil des Relations Internationales). Autour de la table se trouvaient de hauts responsables des Nations Unies, du Département d’État américain, et de think tanks. Bizarrement, mon ami se moqua de la manière dont les pro-vie avaient critiqué je ne sais quel comité de l’ONU. Au lieu de monter au créneau pour défendre la position des pro-vie, je suis resté assis à ma place. Là encore, c’eut été un « tir facile », à ma portée. Mais je suis resté assis à ma place.

Il s’agit là du type de peur auquel nous pouvons tous être confrontés un jour ou l’autre. Les moments « Skutnik » sont principalement le lot des soldats, lorsqu’ils doivent vaincre la peur d’être blessé ou même de mourir. Nous autres, c’est bien souvent la peur de l’humiliation qui nous guette, celle d’être pris à défaut, ou d’être tourné en ridicule.

Qui d’entre nous n’a pas hésité à prendre position sur des questions sociales, telles que la contraception, l’avortement, la recherche sur les cellules souches ? Qui d’entre nous n’a pas hésité à prendre position sur la question gay face à des amis, des parents, voire des étrangers, de peur d’être pris au dépourvu, connaissant quelques arguments basiques mais redoutant une véritable discussion ? Et puis, il y a la moquerie, grande spécialité de nos détracteurs.

David French, qui travaille pour l’ACLJ (American Center for Law and Justice), est passé d’une université d’Etat à la Harvard Law School. Avant son arrivée à Harvard il se demandait s’il serait à la hauteur des débats intellectuels de haute volée qu’il imaginait au sein d’une école de Droit de la prestigieuse Ivy League. Ce qu’il a découvert là-bas n’avait rien à voir avec de brillantes joutes intellectuelles. De ses détracteurs il n’a réussi à obtenir que moqueries et railleries.

Parmi toutes les vertus, l’Église enseigne que la prudence est reine, car elle nous indique au service de quoi nous devons mettre notre courage. Mais sans courage, au moins dans certains cas, il se pourrait que la prudence se limite juste à de bonnes intentions. C’est ce qui a pu faire dire à Churchill que le courage est la vertu suprême. Certes, Churchill n’était pas théologien. Cependant il pressentait que la prudence devait s’armer du courage.

De nos jours, les jeunes n’osent pas prendre position par crainte d’être pris à défaut. Imaginez un campus universitaire où des conférenciers invités à s’exprimer sont sifflés, conspués par l’auditoire, priés de ne pas revenir ; où des professeurs ridiculisent la foi transmise par les familles et par l’Eglise. Même si de telles attitudes sont choquantes, au moins pour une partie des étudiants, il est exceptionnel que l’un d’eux réagisse. La peur que ces jeunes ressentent est la peur d’être humilié, pris à défaut, isolé. S’ils prennent l’habitude à l’université de ne pas prendre position, de ne pas se mouiller, ils risquent de garder toute leur vie cette habitude de non-engagement.

Pire encore, il n’y a plus d’espace privé. Un jeune homme qui se défoulerait dans sa chambre d’étudiant pourrait être enregistré et ridiculisé, peut-être même accusé devant un tribunal universitaire. Nous n’oublierons pas la leçon de l’affaire Brendan Eich : contribuez à une cause impopulaire (le mariage traditionnel), et vous perdrez votre emploi, même six ans après les faits reprochés. Bienvenue dans l’univers de Soljenitsyne, où chacun se méfie de tout le monde autour de soi.

L’autre univers de Soljenitsyne, est celui où des millions de Polonais se sont retrouvés un jour, au coude à coude, pour saluer l’arrivée de Jean-Paul le Grand. Ce fut pour eux un choc. Jusqu’à ce moment, chacun d’eux pensait qu’il était seul. J’avais espéré que Chick-Fil-A Day [NDT : une manifestation aux USA pour la défense du mariage entre un homme et une femme ] fût un tel jour pour nous, un de ces jours où chacun prend conscience qu’il n’est pas seul. Hélas l’espoir est vite retombé.

Espérons qu’un jour, nous-mêmes, Occidentaux, découvrirons que nous ne sommes pas seuls – et que nous n’avons pas de raison d’avoir peur.

Source : http://www.thecatholicthing.org/columns/2014/in-praise-of-courage.html