La mort d’Élie Wiesel, prix Nobel de la paix et écrivain de la mémoire de la Shoah, nous atteint au plus intime de nous-mêmes, comme celle d’un témoin capital pour notre temps. Sa destinée singulière le vouait à être médiateur de ce qu’il avait vécu et se rapportait à une blessure béante au flanc de notre commune humanité. Être déporté à Auschwitz, alors qu’on a quinze ans, survivre à l’assassinat des siens, tout vouait ce jeune juif à une sorte de témoignage perpétuel. François Mauriac qui l’avait reçu, avant qu’il ne publie son premier livre (La nuit, en 1958), dont toute son œuvre ne constituera que le développement, l’avait immédiatement compris et traduit dans une préface inoubliable. Lorsqu’il l’avait reçu chez lui, il n’avait pu qu’embrasser en pleurant ce jeune homme, héritier de la foi de ses pères, qui avait découvert d’un seul coup le mal absolu. Le poids infini du scandale avait de quoi anéantir une âme. Mais Élie Wiesel était resté irréductiblement fidèle au Dieu d’Israël, tandis que la persécution de son peuple et la menace de disparition dont celui-ci avait été menacé ne pouvait que le solidariser profondément de son passé et de sa survie.
Que l’on permette un souvenir personnel. Bernard Henri-Lévy avait souhaité que je rencontre Élie Wiesel lors d’un de ses passages à Paris au début des années 80. Je l’avais alors longuement interrogé sur les grandes thématiques de son œuvre, mais il avait souhaité que nous poursuivions l’entretien sur un mode beaucoup plus personnel. C’est ainsi que nous nous étions retrouvés dans le petit jardin qui borde la cathédrale Saint-Vladimir-le-Grand, boulevard Saint-Germain. Il me révéla alors ses relations amicales avec le cardinal Lustiger. J’en ignorais tout jusque-là, et c’est avec la plus grande attention que j’entendis l’écrivain m’expliquer comment son dialogue avec l’archevêque de Paris revêtait pour lui un caractère crucial. Il lui était difficile d’admettre qu’un juif aussi remarquable qu’Aron Lustiger ait été baptisé et soit devenu une des figures de référence du christianisme contemporain. Sa hantise de la transmission et de la continuité d’Israël s’en trouvait heurtée.
À cette époque, la communauté juive française (et aussi internationale) avait souvent mal accueilli cette promotion d’un juif à l’archevêché de Paris. Il faudra du temps pour qu’elle reçoive le message de celui qui considérait que son christianisme était l’accomplissement de son judaïsme. Élie Wiesel l’a-t-il jamais admis ? Non, sans aucun doute. Du moins reconnaissait-il dans Jean-Marie Lustiger le porte-parole prophétique d’une conversion radicale des relations entre juifs et chrétiens. Nous-mêmes, pouvons recevoir avec gratitude l’ouverture d’Élie Wiesel à ce qui pouvait assurer la paix véritable des esprits et des cœurs, en accueillant de lui ce qu’il y avait d’inaliénable dans l’héritage dont il était porteur.
Pour aller plus loin :
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- La France et le cœur de Jésus et Marie
- Le défi du développement des peuples et le pacte de Marrakech - la fuite en avant des Nations Unies
- Mauriac homosexuel ?
- MESSAGE POUR LA JOURNEE MONDIALE DE LA PAIX