Election présidentielle et politique étrangère - France Catholique
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La justice de Dieu
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Election présidentielle et politique étrangère

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Les Chrétiens ne sont pas à court de références pour guider leurs choix politiques. La difficulté ne vient pas de l’absence de principes clairs et incontestés mais de leur application à des situations concrètes éminemment complexes et contradictoires. La vision chrétienne dépasse par nature le champ citoyen puisqu’elle est universelle par vocation.

Chrétiens et non-chrétiens sont naturellement attentifs à l’image de leur pays dans le monde. La politique étrangère est rarement ce qui détermine une élection. Elle pèse peu dans les motivations des électeurs, non pas par indifférence mais par le sentiment d’une sorte de consensus. On n’imagine « pas de virage diplomatique en vue » (Le Monde des 24/26 décembre 2011) si Hollande était élu. Il n’est qu’à lire les quatre derniers des soixante « engagements » du candidat pour s’en convaincre.

Pour autant il y a une manière catholique – ou chrétienne – de se conduire en tant qu’acteur international, que ce soit directement par des engagements associatifs ou indirectement par des votes ou des interventions auprès des élus. En ce domaine, il me semble qu’il y a également trois valeurs non négociables : la recherche de la paix, la solidarité, la défense des droits de l’Homme, au premier chef la liberté religieuse.

Si je remonte aux premières élections présidentielles de 1965, je me souviens à l’époque avoir posé la question à André Fontaine, alors chef de la politique étrangère au « Monde », invité au Centre Saint-Guillaume des étudiants catholiques de Sciences-Po. François Mauriac avait déclaré quelque temps plus tôt que ce qui le mettait très à l’aise avec la politique étrangère du général De Gaulle était que celui-ci « en tant qu’homme politique, naturellement et raisonnablement, jouait la carte chrétienne ». Fontaine fut un peu interloqué mais s’en sortit bien en opposant la bombe atomique et l’aide aux pays en développement.

La force nucléaire est demeurée un facteur irritant pour les conférences épiscopales autant française qu’américaine qui se sont prononcées au début des années 80. Plus récemment la seconde guerre en Irak, désapprouvée par le président Chirac, a été réprouvée par le Vatican au grand dam des néo-conservateurs catholiques américains. Il y a donc une constante forte sur la mise hors la loi (divine) du recours à la guerre et à tout le moins de la guerre préventive ou de la première frappe.

Un autre engagement fort de l’Eglise à travers le monde fut la mobilisation exceptionnelle en faveur de la remise de la dette des pays les plus pauvres, objectif largement atteint au tournant du millénaire.

La défense des droits de l’Homme ne fut promue dans le discours politique français qu’à partir de 1981, et à peu près en même temps il était devenu dominant au Saint-Siège sous l’influence de Jean-Paul II élu en 1978. La concomitance ne signifiait évidemment pas une convergence ou une identité de vues, mais certaines rencontres ici ou là. La liberté religieuse, ou plutôt son interprétation, figurait au premier plan des différences entre Rome et Paris comme entre Rome et Washington, ainsi qu’entre Paris et Washington.
Identifier ainsi trois valeurs primordiales ne suffit pas à déterminer le choix. Car celles-ci ne sont pas isolées d’une politique d’ensemble qui doit être cohérente. Ne peut-on pas imaginer en effet qu’un pays respecte ces trois valeurs mais pour le reste se conduise fort mal sur d’autres plans. Si l’on prend ces valeurs très au sérieux, elles vous entraînent beaucoup plus loin, de proche en proche, dans la construction de votre modèle de relations internationales. Il reste que tout un large pan d’activités échappe à ces critères. Pour autant, si autonome que soit le domaine des relations internationales, hors ces trois points, il n’est pas exempt de tout jugement moral. Que faut-il penser de l’Union européenne, de l’OTAN, de la Chine, des printemps arabes ? La réponse n’est pas dans l’Evangile, ni même dans les documents pontificaux ou les déclarations des évêques. Un chrétien est en droit d’attendre de son pays un honnête respect pour les positions du Saint-Siège dans les enceintes internationales, mais libre au gallican de se cabrer de temps à autre.

Cette liberté de jugement, mais cette exigence du jugement éclairé en conscience, est une richesse souvent méconnue de la tradition catholique en matière de relations internationales. De grands penseurs protestants américains ont mis en valeur la tension sinon la contradiction entre le réalisme et la morale. La politique étrangère américaine est ainsi balancée entre phases idéalistes et phases réalistes, comme entre la présidence Carter et la présidence Reagan. Quel que soit le débat, il est tout de suite éthique, sujet d’étude dans les écoles de sciences politiques. A l’inverse, les Américains voient unanimement l’Europe comme la Russie et la Chine comme d’affreux immoralistes partisans de la Realpolitik sans foi ni loi.

Oublieux de leurs racines, les Européens peinent à expliquer leurs raisonnements et leurs méthodes parce qu’ils n’en connaissent plus la lointaine origine qui néanmoins continue de les former. C’est une idée de la nature humaine, de la vie en société, du pouvoir, où tout n’est pas irrémédiablement mauvais, mais capable de bien, fondant la possibilité d’un ordre juste quoique toujours faillible et perfectible. On oublie souvent la contribution des théologiens catholiques à l’origine du droit international.
Bref le catholique ne prononcera pas un jugement moraliste mais exercera simplement son jugement moral appliqué aux situations du monde contemporain. « Faire entendre la voix de la France dans le monde », comme on l’entend souvent, ce serait d’abord cela qu’ « une diplomatie sans éthique manquerait gravement de réalisme » (Claude Julien), mais qu’une diplomatie sans réalisme manquerait aussi d’éthique. Il n’y a pas de contradiction entre les deux. De ce point de vue, je pense que tous les candidats ont encore beaucoup de travail à faire.