En pleine tourmente des évènements de mai 68, le général de Gaulle déclarait la situation « insaisissable ». C’est ce qualificatif qui vient en tête aujourd’hui pour définir ce qui se passe en Égypte, aussi bien dans la capitale, les grandes villes, l’armée et même au cœur du pouvoir. Certains parlent d’anarchie mais il semble qu’il y ait à la fois dans la population une énergie farouche pour changer le régime et une volonté de maintenir l’ordre indispensable. Ainsi a t-on vu de simples citoyens monter la garde autour du musée national que des pilleurs étaient en train de saccager. Un musée qui est l’orgueil du pays avec les souvenirs inestimables qu’il renferme d’un passé immémorial. C’est un assez beau symbole! En même temps, des groupes d’autodéfense se constituent pour préserver la sécurité dans les quartiers. Donc, il semble qu’un réflexe populaire efficace joue contre le chao.
Mais nul ne peut encore prédire ce qui sortira de ces émeutes terribles. Le président Moubarack s’accroche au pouvoir et il n’était pas possible, en ces dernières heures, de déterminer s’il disposait de l’appui indéfectible de l’armée, qui joue dans le pays un rôle encore plus fondamental qu’en Tunisie. Les généraux sont-ils divisés ? Ce qui paraît plutôt assuré, c’est bien que l’armée aura le dernier mot. Elle l’a eu en Tunisie, en exigeant le départ du président Ben Ali. A fortiori elle l’aura en Egypte où elle a un rôle historique depuis la révolution qui a renversé la monarchie du roi Farouk. Il est impossible d’oublier les années Nasser, ce colonel charismatique qui voulut coaliser le monde arabe et qui défia les puissances occidentales.
Mais on s’aperçoit à l’inquiétude palpable des dirigeants occidentaux, d’Obama à Sarkozy, que la révolution égyptienne est lourde de menaces pour l’équilibre de toute la région. Il n’est pas possible d’ignorer que la décision du prédécesseur de Moubarack, Anouar el Sadate, avait changé la donne à propos du conflit israélo-arabe. Certes, le processus de paix n’a pas été jusqu’à sa conclusion. Mais qu’adviendrait-il si un nouveau régime installé au Caire ne perpétuait pas la coexistence pacifique avec Israël ? On n’ose y penser, du moins ouvertement. Cela explique l’inquiétude et la prudence de nos dirigeants.
Chronique lue à Radio Notre-Dame le 31 janvier
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