Samedi 1er novembre, nous fêtons tous les saints, dimanche 2 novembre nous pensons à nos frères défunts.
Il peut paraître curieux que la liturgie du dimanche, jour voué par principe à la Résurrection, soit ainsi occupée par la commémoration des fidèles défunts, mais cette disposition a au moins l’avantage de distinguer clairement la fête de la Toussaint de ce qu’on a trop souvent confondu avec elle : l’évocation de nos morts. Il est normal qu’on ne les oublie pas, ces morts, que l’on ait pour eux reconnaissance et affection, qu’on fasse des prières pour eux, qu’on dise des messes à leur intention. Mais ce n’est pas la même chose que l’évocation de la Cité du ciel que nous propose la Toussaint, joie débordante de savoir une partie de notre Eglise pleinement réussie, pleinement heureuse, triomphante.
La Toussaint, c’est un petit coin de ciel bleu au milieu des brumes de notre automne. Nous vivons dans un monde qui se croit la seule réalité possible, rien en dehors, rien au-delà. L’idéal, c’est qu’on ait tout à portée de main : le supermarché, le centre de loisir, les services de santé, un petit monde sans surprise, en attendant de disparaître. La terre elle-même s’est rétrécie : ce qui demandait jadis des mois de voyage se parcourt maintenant en quelques heures. La nature, ou ce qu’il en reste, est disciplinée, il y a des parcs, des réserves pour la voir sans danger, ses produits arrivent sur notre table, sans que nous ne sachions quelle allure avaient ces substances quand elles étaient encore sauvages. La prison peut être somptueuse, mais on découvre tôt ou tard les barreaux qui nous empêchent d’aller voir ailleurs.
Et alors la Toussaint arrive, qui nous dit : « ailleurs existe ! », il y a là des hommes, des femmes, des enfants qui sont heureux sans autoroutes et sans ordinateurs, ils dansent, ils chantent, ils s’aiment, ils aiment le Bon Dieu, et encore mieux, ils pensent à vous, ils veulent partager leur bonheur avec vous… Ils en ont des choses à vous raconter, les saints, ils ont tout connu, la gloire, la rue, le bagne, la vie de famille toute simple, les grands déchirements, les guerres, mais ils ont traversé tout cela avec la force que Dieu donne, sûrs tout était grâce, même les heures amères. Ils ont gagné des batailles, contre eux-mêmes d’abord, mais aussi et surtout contre les forces du mal, ils propagé la foi, construit des cités, élevé des cathédrales. Ils ont rendu la joie à des malades abandonnés de tous, réconcilié des époux déchirés, réglé les dettes des pauvres. Il y a peu de grandes choses auxquelles ils n’aient été mêlés, l’art, la pensée, tout cela a d’abord germé dans leur cœur, avant que d’autres s’en emparent. Vous en trouverez qui vous ressemblent comme deux goutte d’eau, qui sont passés par où vous êtes passés et qui n’ont pas plié l’échine. Vous en verrez de si petits, de si faibles, que vous vous demanderez comment ils ont fait tout cela en l’espace d’une vie. Peut-être ils vous diront leur secret.
Surtout ils vous conduiront à Jésus, pas à une image d’Epinal ou à un vieux souvenir du catéchisme, mais à leur grand Ami du ciel, avec qui ils partagent maintenant tout, l’Agneau comme immolé qui se tient au milieu d’eux et qu’ils suivent partout où il va.
Ça ne nous empêchera pas de penser le lendemain à nos morts encore en chemin, qui devinent ce bonheur, maintenant tout proche d’eux, auquel ils ne peuvent encore goûter, pauvres frères torturés par la soif. Notre prière sera comme un linge mouillé passé sur leur visage, un encouragement sur la route. Et, au cours de la messe, le Christ lui-même viendra les rafraichir de quelques gouttes de son Sang précieux…