J’ai récemment reçu un courriel d’un lecteur touché par mon point de vue sceptique sur l’islam. Il a travaillé en 1963–1965 pour l’ONG Peace Corps dans une zone musulmane du Nigeria. Il en revint persuadé par cette expérience que ”les gens sont tous les mêmes” et que ”tous ont les mêmes besoins et désirs”. Selon lui, insistait-il, les différences culturelles étaient essentiellement superficielles.
Son point de vue rejoint celui de sa génération, qui a connu les années 1960–1970. Et comme de nombreux textes relatifs à cette période sont encore largement répandus, cette vision optimiste reste encore plutôt générale. Mais les temps changent, même si les écrits demeurent.
Par exemple, la réalité au Nigeria de nos jours est tout-à-fait différente de ce qu’a vécu mon correspondant dans les années 60. Il ne semble plus que tout le monde éprouve ”les mêmes désirs”. En fait, nombre de musulmans veulent interdire aux chrétiens les mêmes besoins fondamentaux — par exemple le droit de pratiquer leur religion, ou simplement le droit de vivre.
Mgr Joseph Bagobiri, évêque de Kafanchan révèle que dans son diocèse (Nord-Ouest du Nigeria) « 53 villages ont été incendiés, 808 habitants ont été assassinés, 57 blessés, et 1422 habitations, 16 églises, furent détruites. » Par ailleurs, un rapport de la ”Société Internationale pour les Libertés Civiles et l’application des Lois” révèle que 16 000 Chrétiens ont été assassinés au Nigeria depuis Juin 2015.
Ce qui se passe au Nigeria s’est produit partout dans le monde musulman. ”Open Doors USA” révèle que globalement 215 millions de chrétiens sont soumis à de cruelles persécutions, la plupart du fait de musulmans. Question, quel est le véritable islam ? L’islam pacifique connu par mon correspondant dans les années 1960 ou l’islam agressif connu de nos jours ?
Selon le contexte des 1 400 années agressives de l’islam, la période relativement pacifique amorcée avec la dissolution de l’ Empire Ottoman au début du vingtième siècle semble une anomalie. À l’époque où mon correspondant travaillait pour le ”Peace Corps” au Nigeria, le monde musulman était de loin plus modéré qu’actuellement ou qu’antérieurement.
L’islam qu’il a connu était un écart caractéristique avec l’islam traditionnel.
Un écho de cette époque nous parvient dans un article d’Ali A. Allawi, ancien membre du Cabinet ministériel d’Irak, publié par Chronicle of Higher Education [Chronique de l’Enseignement Supérieur] :
« Je suis né en Irak dans une famille Musulmane d’observance modérée. À cette époque, dans les années 1950, le sécularisme croissait au sein des élites politiques, culturelles, intellectuelles, du Moyen-Orient. Il semblait alors qu’il n’était qu’une question de temps avant que l’Islam relâche toute emprise encore imposée au monde musulman. L’expression — ”Monde musulman” — était peu usitée, alors que les musulmans étaient de plus en plus enclins à se définir davantage par leur nationalité, ou leurs attaches ethniques ou idéologiques que par leur religion »
Bref, les sociétés musulmanes étaient alors plus modérées car s’éloignant de l’Islam. Comme le remarque Allawi, « Pour un enfant sensible, il était évident que la société se détachait de l’Islam. Bien que la religion fût une matière obligatoire à l’école, nul ne nous enseignait les règles de la prière ni n’attendait que nous respections le jeûne du Ramadan. Nous apprenions par cœur de brefs versets du Coran, mais le livre sacré demeurait sur une étagère ou dans un tiroir, généralement sans être jamais lu. »
La modération du monde musulman au siècle dernier ne résultait pas d’une piété plus profonde, mais plutôt d’une sécularisation croissante. Une certaine modération demeure encore dans des pays musulmans, mais pour ceux qui se tiennent au courant de l’actualité, il est évident que que l’islam dur accroché au livre, reprend des forces. Plus de jupes courtes à Téhéran ou à Kaboul comme dans les années 1970, et le ”hijab” est de retour presque partout dans le monde musulman. Autrement dit, la sécularisation est en régression.
Bizarrement, le monde occidental n’a pas conscience de ces changements. Pour quelles raisons ? Peut-être parce que le retour à l’islam du VIIe siècle efface l’idée multiculturelle que toutes les cultures partagent les mêmes valeurs. Et donc beaucoup préfèrent imaginer que le monde musulman est en gros ce qu’il était au temps du roi Farouk et du Chah d’Iran — cette période relativement brève où ”le sécularisme était en croissance.”
Malheureusement, un des rares ensembles d’importance survivant au passé face à l’Islam se trouve être l’Église catholique. Nombre de ses membres semblent croire et agir comme si on était encore en 1965, et que Nostra Aetate (promulguée en 1965) exprime l’ultime opinion sur l’islam.
La section consacrée aux ”musulmans” dans Nostra Aetate fait écho à la notion multicurelle que les différences de culture n’ont guère d’importance, et que les gens ont les mêmes besoins de base. Ainsi, les rédacteurs du document prirent la peine d’insister sur les ressemblances entre chrétienté et islam, allant jusqu’à suggérer que les deux fois partagent les mêmes valeurs morales.
Bien sûr, il est en fait impossible de négliger la radicalisation qui s’est emparée de nombreux musulmans depuis 1965. Mais dans leur souci de préserver le ”descriptif” de Nostra Aetate relatif à l’islam, les dirigeants de l’Église ont inventé un argument pour contourner ce fait embarrassant. Les musulmans qui persécutent et terrorisent les non-musulmans sont réputés avoir ”dévoyé” ou ”perverti” leur religion car, selon les mots de S.S. François, « l’Islam authentique et une compréhension appropriée du Coran sont hostiles à toute forme de violence. »
En fait, pas plus tard que le 16 mars, S.S. François a déclaré aux dirigeants de l’Organisation Islamique de Coopération qu’il n’existe aucun lien entre islam et terrorisme. À d’autres occasions, le Saint-Père a même déclaré que le remède à la radicalisation consisterait pour les musulmans à approfondir leur foi et à trouver un guide dans le Coran. Ce qui, d’évidence, est tout-à-fait le contraire de l’observation de première main par Allawi pour qui la modération ne résulte pas d’une foi approfondie mais de ”l’éloignement de l’Islam”.
Les dirigeants de l’Église s’accrochent encore à l’idée que l’Islam se serait redressé dans les années 1970. À moins d’acquérir une vue plus juste de l’Islam, ils continueront à être un élément du problème plutôt qu’un composant de la solution.
19 avril 2018.
https://www.thecatholicthing.org/2018/04/19/the-church-and-islam-nostalgia-for-the-sixties/
Photo : Boko Haram au Nigeria.
Pour aller plus loin :
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