Le projet de fichier Edvige n’en finit plus de susciter les contestations. Après le monde associatif, ce sont les politiques de tous bords qui s’en prennent à ce qui paraît à leurs yeux une grave menace contre les libertés fondamentales. Au gouvernement, c’est le centriste Hervé Morin, ministre de la Défense, qui n’a pas craint de d’élever la voix tandis que Laurence Parisot, présidente du Medef, a rejoint l’avis des responsables syndicaux.
Il faut reconnaître que la pilule paraît un peu grosse à avaler. Le futur fichier Edvige (pour « Exploitation documentaire et valorisation de l’information générale) est appelé à prendre la place des anciens fichiers des Renseignements généraux. Il s’agit en fait de répertorier « les personnes physiques ou morales » susceptibles d’exercer des responsabilités publiques, mais aussi de porter atteinte à l’ordre public. Dans la pratique, il réunira toutes les informations utilisables (des numéros de téléphone à l’état de santé en passant par les pratiques sexuelles) sur les citoyens à partir de l’âge de treize ans.
Bien sûr, on pourrait dire que cela existe déjà depuis bien longtemps. Le fichier des RG, répertoriant militants politiques et syndicaux, n’est pas une nouveauté et l’affaire des écoutes élyséennes du temps de Mitterrand nous rappelle les limites de l’indignation vertueuse. De plus, les nouvelles formes de délinquance, voire de criminalité juvénile, notamment dans les banlieues, offrent une justification solide à la surveillance de mineurs devant lesquels la justice semble désarmée.
Mais la logique policière ne justifie pas tout. S’il peut être utile, le fichier Edvige sera surtout dangereux. L’étendue des informations qu’il renfermera laisse pour le moins songeur. Pourquoi des informations sur la santé (violant forcément le secret médical) ou les pratiques sexuelles ? Qui pourra être sûr de ne pas être fiché ? Bien sûr, il ne s’agit pas d’accuser le gouvernement de comportements liberticides, mais peut-on être sûr qu’en cas de crise majeure, des dirigeants peu scrupuleux ne profiteront pas d’un tel fichier ?
A cela s’ajoute l’aspect technique. On nous a dit que la différence avec les fichiers précédents est d’abord d’ordre technologique, mais cet aspect n’est pas vraiment rassurant, bien au contraire. Que peut le citoyen devant une forteresse informatique à laquelle il n’aura pas accès ?
Edvige ne mène pas forcément au totalitarisme ou à la société policière, mais il peut y mener. Cela doit suffire à ceux qui pensent qu’aujourd’hui un pouvoir « fort » est nécessairement un pouvoir trop fort.
Serge PLENIER © Acip