Que pourrais-je dire de mieux que Jacques Julliard, au Figaro d’hier, sur son ami Edmond Maire qui vient de nous quitter ? Cet ancien secrétaire général de la CFDT aura été une des figures majeures du syndicalisme français d’après-guerre. Il fut présent, au premier rang, dans toutes les phases de la vie sociale, singulièrement dans les années soixante qui furent décisives dans l’évolution de notre pays. Edmond Maire, écrit Julliard, « alliait à ses qualités d’homme d’action une hauteur morale, une humilité, une pudeur, une attention qui ne se rencontrent pas souvent à ce degré chez les hommes publics. Il haïssait la société du spectacle ». Comment ne pas souscrire à pareil éloge, même lorsqu’on n’a pas partagé tous les choix de l’homme public, notamment celui qui fit scission de la CFTC pour fonder une CFDT déconfessionalisée ?
Je ne puis cependant éluder quelques questions, non tellement à propos de cette déconfessionalisation qu’à propos du climat de sécularisation qui l’a accompagné. Il me semble qu’Edmond Maire était personnellement agnostique. On ne saurait donc lui faire un procès en fait d’abandon des références du syndicalisme chrétien. Cependant, il est emblématique d’une période marquée par un détachement impressionnant par rapport à la pratique religieuse. Cette période coïncide aussi avec le déclin d’un certain catholicisme de gauche qui avait dominé les années d’après-guerre. Il y a alors un véritable basculement idéologique, sociétal. C’est toute une culture chrétienne qui s’efface.
Les causes d’un pareil phénomène sont complexes. On ne peut les imputer à un courant intellectuel particulier. Ainsi, des catholiques classés à gauche et qui ont été à l’origine de la scission de 1964, ont réagi vigoureusement à la crise de la foi, avec la création d’une revue comme Les quatre fleuves, dirigée par cet historien éminent qu’était Henri-Irénée Marrou. Nous sommes les héritiers de toute cette période, dont il nous appartient de tirer le meilleur à partir du meilleur de ce qu’elle a été, ne serait-ce, comme l’écrit encore Jacques Julliard, lorsqu’elle voulut fonder « une société d’hommes fiers et libres » (Fernand Pelloutier).