C’est tout simplement parce qu’il souhaitait savoir ce qu’était la paternité que François-Xavier de Boissoudy a choisi ce thème pour sa nouvelle exposition. Ce père de famille dit avoir discerné sur la manière de se conduire en tant que père mais, lui qui se définit comme « un pauvre peintre », n’avait pas mis de mots sur ce qu’il vivait, à la différence d’un intellectuel. Alors il a choisi d’y mettre des images. Et avant tout des gestes ! Car c’est le geste qui intéresse François-Xavier de Boissoudy, pour lui le geste est signifiant. Son travail est donc un travail d’élucidation de ces gestes quotidiens qui racontent la paternité. Il compare cela à « un livre de raison, comme en faisaient nos ancêtres, dans lesquels ils relataient ce qui s’était passé dans la journée ». Cela nécessitait un travail de recherche en amont, lectures, conférences…
Mais c’est avant tout dans la Bible que François-Xavier de Boissoudy va puiser pour apporter de l’eau à son moulin. Dans ces grands livres de la généalogie des pères – mais qui passe bien entendu par des femmes – il trouve des situations, mais peu de gestes. Ce n’est pas toujours facile de retrouver le « geste juste » qui est « la structure de son travail », d’autant que parfois l’histoire de l’art vient brouiller les pistes, comme l’épisode du sacrifice d’Isaac par Abraham. On a en tête l’image de l’ange arrêtant le bras d’Abraham. François-Xavier de Boissoudy est revenu au texte pour trouver le geste juste de ce récit sur lequel il butait. La chose fondamentale qu’il en retient c’est que l’ange ne retient pas le bras d’Abraham. C’est Abraham qui entend la voix et qui décide d’arrêter :
« J’ai un fils adolescent, il a seize ans. Et je me suis aperçu à quel point ça coïncidait avec ma propre réalité. Dieu demande à Abraham l’offrande de son fils ; avant l’offrande passait par le sacrifice. Il change le sens de l’offrande. Quand on a gravi la montagne avec son fils, quand on l’a élevé, il faut lâcher. C’est ça l’idée fondamentale, il ouvre les mains, il lâche le couteau et il passe à autre chose. C’est la phrase de saint Jean-Baptiste : “Il faut qu’il grandisse ; et moi, que je diminue.” Quand on a un fils ado, on comprend tout à fait. Il faut le lancer avec amour, sinon ça risque de faire des vagues. Mais il y a quelque chose de cet ordre : Fais confiance à Dieu. »
La peinture de François-Xavier de Boissoudy est ancrée dans le réel, dans l’expérience et l’observation, mais elle est aussi existentielle, ancrée dans sa propre existence. Il nous le dit : « Être père est consubstantiel à ma personne, je ne dissocie pas. C’est un engagement de tous les jours, cela fait partie de mes engagements d’homme : peintre, père… » D’ailleurs il n’a pas d’atelier, il peint chez lui, à même le sol, dans son salon, dans l’appartement familial, cet appartement où il dit avoir rencontré Dieu, dans sa cuisine. D’une situation de blessure où il était comme extérieur à lui-même, il a choisi d’être peintre et père. De cette guérison intérieure, alors « qu’il faisait beau », il a reçu l’autre axiome fondamental de sa peinture, la lumière. Une lumière, qui, dans des tableaux presque en noir et blanc, est le premier personnage, une lumière bien souvent habitée par Dieu.
François-Xavier de Boissoudy passe par la Bible pour y trouver non pas seulement le père, mais surtout le Père. Il parcourt cette généalogie d’hommes qui de père en fils nous amène au Christ, le Fils, et celui-ci nous mène au Père. C’est une constante de son travail d’équilibriste, saisir le geste juste sans oublier la lumière, ou dans la quotidienneté des gestes, trouver Dieu.
Un Dieu qui n’est pas représenté, à une exception près. François-Xavier de Boissoudy lui donne les traits du sculpteur « dans ce geste de reconnaissance de l’autre, ce geste de père de prendre la tête de son enfant dans ses mains qui est aussi le geste du sculpteur qui façonne ». Mais il représente son Fils, comme lors du baptême du Christ : « Tu es mon Fils bien-aimé. » Et ses fils, par exemple l’onction de David par Samuel : « un geste de paternité : la bénédiction signifie choisir, distinguer ; c’est aussi nommer. C’est la mission du père ». Il représente aussi ses fils, en prière, dans un tableau intitulé Notre Père, ou encore dans un tableau inspiré du premier psaume : « Heureux l’homme qui ne marche pas dans le conseil des impies, qui ne se tient pas dans la voie des pécheurs et qui ne s’assied pas dans la compagnie des moqueurs, mais qui a son plaisir dans la loi de Yahweh, et qui la médite jour et nuit. II est comme un arbre planté près d’un cours d’eau, qui donne son fruit en son temps, et dont le feuillage ne se flétrit pas : tout ce qu’il fait réussit. » On y voit un homme avec un enfant sur les épaules qu’il considère comme un geste paternel par excellence, plaçant l’enfant sur soi tel sur un trône vivant. On l’assimile à soi-même mais en le mettant plus haut. Il est également sur un promontoire d’où il peut mieux observer le monde, une position d’éveil.
Dans sa recherche de l’alliance du geste juste et de la lumière, François-Xavier de Boissoudy recherche l’économie de moyens et la simplicité. Une certaine radicalité qui passe par le noir et blanc pour mieux faire jaillir la lumière. Mais ses œuvres laissent apparaître une subtile palette qui s’est récemment enrichie, notamment de rouges et de marrons. En séchant, les œuvres perdent l’éclat qu’elles ont au moment de la peinture. Il reste alors à les vernir pour retrouver cet aspect mouillé qui fait apparaître si beaux les galets que l’on trouve sur la plage.
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« Paternité » du 5 avril au 2 juin 2018. Peintures de François-Xavier de Boissoudy, à la Galerie Guillaume 32, rue de Penthièvre, 75008 Paris, du mardi au samedi (14h-19h, et sur rdv). Un catalogue de l’exposition avec des textes de Fabrice Hadjadj est disponible aux éditions Corlevour.
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